Dès la « vitrine », Benjamin Taïeb se sert sans vergogne dans la littérature. Il chipe le titre même à notamment Samuel Beckett et Ivan Tourgueniev. « Premier amour » donc. Un petit roman pilleur et facétieux.
Paris années 90. Paul 17 ans, juif, aime et est aimé en retour par Valérie, 16 ans, issue d’une famille bourgeoise traditionaliste. Un amour platonique, non « consommé ». La mère de Valérie n’aime pas Paul, mais alors pas du tout, sans pourtant le connaître vraiment. On devine aisément des vieux relents d’antisémitisme. C’est pour le côté face. Côté Paul, père vaniteux, mère discrète et effacée.
Paul et Valérie (quand je vous disais que le plagiat littéraire s’immisce partout dans cet ouvrage) partagent de nombreuses activités : tennis, cinéma, farniente, etc., appréciant le silence mutuel en forme de respect. Mais Paul et Valérie ne sont sans doute pas fait pour vivre ensemble. « Valérie et Paul sont de grands romantiques. Il leur arrive de rompre pour la seule joie de se retrouver dans une compréhension mutuelle immédiate (ils ont l’impression de ne s’être jamais quittés), doublée de ce plaisir si particulier d’exister dans l’esprit de l’être aimé ».
De nos jours soit trente ans plus tard, Paul se remémore ces instants privilégiés. Certes, il en a connu d’autres depuis, il a encore aimé, différemment, mais paradoxalement peut-être moins intensément. Le monde a évolué, tout comme Paul bien sûr, et Valérie aussi, sans doute. Une Valérie qu’il va revoir, se rappelant peut-être les pensées qu’il avait eues trois décennies plus tôt « Comme s’il était possible que leur histoire dégénère en amitié ou camaraderie ».
« Premier amour » est un bref roman intimiste dans un style simple et empli de délicatesse, c’est dans sa construction qu’il détone. Car « Premier amour » est aussi une sorte de montage littéraire. En effet, il emprunte à seize œuvres, à seize auteurs de différentes périodes, de différentes nationalités. Comme pour le titre, l’auteur exploite des oeuvres, picore dans les livres, en déforme les citations, faisant du jeu littéraire un puits sans fond. Ce jeu, Benjamin Taïeb nous le révèle en « off ». Et c’est la clé du récit, avec l'antisémitisme sociétal en filigrane.
« C’est l’apanage des premières amours que de
devenir un modèle, un socle sur lequel viennent se greffer avec plus ou moins
de succès les expériences ultérieures, du moins un certain temps : on a
beau semer de nouvelles passions sur les anciennes, ces dernières finissent
toujours pas réapparaître ». Et ce premier amour reste intact sans
jamais devenir nostalgique. Livre relevant ô combien de l’intime, de l’intérieur
de l’âme, qui vient de sortir aux éditions Lunatique, il appartient pleinement
à ce superbe catalogue des destins éloignés de la foule.
https://www.editions-lunatique.com/
(Warren
Bismuth)
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