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dimanche 14 juillet 2024

Eve S. PHILOMÈNE « Comme une fougère »

 


La fin du monde n’a pas eu lieu. Années 2100, France. Lyon, devenue Dandelyon, a subi une terrible épidémie, un virus inconnu qui a entraîné le confinement de tous ses habitants pour un temps indéfini. Un accident nucléaire a eu lieu dans la vallée du Rhône, la plupart des français sont allés se réfugier dans la Capitale-État, Parys. Mais d’autres l’ont fuie afin de renouer avec la nature en s’installant dans des zones rurales. Parmi eux Matéoh, homme taiseux demeurant dans un village limousin : Bellecolline. Sa femme est morte en mettant au monde une Raphaëlle. C’est cette dernière qui est au centre du récit.

Raphaëlle est maintenant âgée de 19 ans tandis que son père a élu domicile au village depuis un quart de siècle. Elle recueille une jeune inconnue de 21 ans, Leah, qui vient de fuir à son tour la Capitale-État. Le village fonctionne au troc, l’argent ainsi que les téléphones portables ayant disparu, une petite communauté soudée y évolue en liberté et en harmonie avec la nature, contrairement à Parys où « on pouvait accepter de vivre dans un monde où on était surveillé constamment et où le contact avec la nature se résumait à des promenades dans des salles de réalité virtuelle ». Parys, une des dernières villes encore debout, alors que la plupart ont été abandonnées et laissées à l’état de ruines, où la nature y a repris ses droits et ses pleins pouvoirs.

Raphaëlle et Leah se rapprochent, la première enseignant à la seconde les sports de combat, le yoga ou encore le tricot tandis que Matéoh, curieux, l’interroge sur la vie à Parys. Toujours par l’entremise de Raphaëlle, Leah découvre la nature, complexe. Cette nature est le refuge ultime de Raphaëlle « Je me sentais plus reliée au monde de la forêt qu’à celui des êtres humains ». Elle en est amoureuse, tout comme bien vite elle tombe amoureuse de Leah.

Parallèlement, le jeune Alim, ami proche de Raphaëlle, a quitté la région six ans plus tôt. Il revient enfin, mûri et transformé. Avec Raphaëlle, ils entreprennent un voyage à pied jusqu’à l’océan. C’est sur la route qu’ils découvrent d’autres modes de vie dans d’autres communautés. Le retour à Bellecolline s’annonce difficile.

« Cela me paraissait tellement invraisemblable, ces histoires de dérèglement climatique et d’effondrement de la biodiversité dont personne ne s’était préoccupé. Comme s’ils l’avaient fait exprès, qu’ils voulaient aller jusqu’au bout et être les témoins de la fin du monde ». Car ce roman est celui de l’après, dans une joyeuse ambiance post-apocalyptique où demain n’existe plus. Seule survit la notion de l’instantané, du plaisir du moment. Le vivre ensemble paraît à nouveau possible après toutes les guerres et tous les cataclysmes.

Les humains du XXIIe siècle ont appris de ceux du siècle précédent, en ont gardé les éléments constructifs de l’expérience humaine passée et détruit les actions néfastes, nocives, toxiques. L’atmosphère de ce splendide roman pourrait se situer entre Moyen-Âge et vie des peuples autochtones, on pense bien sûr aux amérindiens, mais pas seulement. Mais avant tout, « Comme une fougère » est un récit d’initiation introspectif, où l’ambivalence des sentiments est omniprésente. C’est un texte sur la découverte de l’amour, de l’affirmation de la personnalité, fuyant un monde devenu totalitaire. La Capitale-État n’a-t-elle pas mis en place une brigade du travail pour traquer les oisifs ?

Eve S. Philomène n’est même pas âgée de 30 ans, elle nous livre pourtant un roman maîtrisé, solide, fort en émotions, une dystopie loin des clichés, qui a parfaitement digéré les vrais dangers du monde qui nous entoure, où les humains ont décidé de s’organiser en autogestion, où fatalement le repli sur soi est une éventualité qu’il faut chasser en partant voir ailleurs, ne serait-ce que pour un temps, mais pour revenir intellectuellement enrichi. La littérature prend une belle place et l’autrice y montre sa passion, sans fausseté, sans en rajouter. « Comme une fougère », tout d’abord coupé du monde, s’auto-alimentant en quasi autarcie, s’ouvre au fil des pages, se nourrit de rencontres, pas toutes positives d’ailleurs, le roman grappille des petits bouts d’expériences glanées çà et là pour finalement se montrer comme une fresque future. Rien n’est laissé au hasard, y compris la notion de genre. Car « Comme une fougère » est un roman résolument moderne qui évoque les questions sociétales actuelles, celles que nous continuerons (enfin, j’écris « nous », je devrais plutôt taper « elles et eux ») à nous poser le siècle prochain, si siècle prochain il y a.

Premier roman en forme de gros coup de cœur, « Comme une fougère » passe comme une saison, au gré des caprices de la nature, où somme toute les humains ne constituent que le décor et ne sont plus mis en avant, c’est la fin de l’anthropocène. « Comme une fougère » vient de sortir aux superbes éditons Le Ver à Soie dans la collection 200000 signes, ce sera à coup sûr l’une des découvertes majeures de l’année 2024.

https://www.leverasoie.com/

(Warren Bismuth)

2 commentaires:

  1. J'ignorais que cette maison d'éditions proposait des romans de ce genre, me voilà très curieuse...

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    1. Des Livres Rances15 juillet 2024 à 01:33

      Elle touche à différents styles, et ce roman est à mon goût une parfaite réussite.

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