Trois femmes, trois destins imbriqués. À tour de rôle, elles prennent la parole, devenant tour à tour narratrices, racontent leur histoire, une seule histoire pourtant, mais vue par trois prismes différents. Aurore tout d’abord, jeune rêveuse, qui a grandi à la campagne en Normandie, elle fut témoin avec sa mère d’une double noyade comme nous l’apprend ce roman dès son entame. Aurore, poussée par les études, quitte le cocon familial afin d’aller s’installer à Paris. Sa mère, Aube, femme effacée, victime de la société patriarcale, est dévastée par le choix de sa fille. Aube a toujours rêvé de Paris, n’en a fait qu’un voyage éclair 25 ans plus tôt, lui est restée cette expérience unique, comme un instant de liberté, un instant qu’elle n’a fait qu’effleurer « comme s’il avait été sa marque de croissance ».
Aurore et sa mère Aube furent donc les témoins impuissants de la noyade de cette enfant de 2 ans et de sa mère qui voulait secourir sa fille. Elles en restent marquées alors qu’à Paris Aurore connaît ses premières amours, avortées, se sent isolée dans cette ville trop grande et trop tapageuse, la mélancolie s’empare d’elle.
Pourtant « Paris est à portée de main, je le sais, et je voudrais arpenter ses rues comme une reine adulée, trouver ma place et des êtres sur qui compter. Je le voudrais vraiment. Mais je n’y parviens pas. Le soir, dans mon lit, je pose sur mes cheveux une couronne imaginaire. Mon manteau de laine bouillie se change en robe pailletée et ma mère apparaît avec la poudre colorée des fées entre les mains ». Aurore semble ne plus rien attendre de l’avenir, quand soudain elle rencontre la mystérieuse Borée, troisième narratrice du récit, qui en est aussi la clé de voûte. Aurore et Borée deviennent inséparables, cette dernière allant même jusqu’à rencontrer Aube la mère d’Aurore en Normandie. Soudain tout bascule.
Aube est une femme qui a raté sa vie et souhaiterait que sa fille Aurore réussisse là où elle a échoué. Mais Aurore se questionne, doute toujours plus : « Et si je n’étais rien de plus qu’une respiration ? Si je n’avais pas de destin ? ». Il se pourrait que Borée de son côté n’a pas non plus gouverné sa barque comme elle l’aurait voulu. Les trois femmes déroulent chacune leur point de vue sur la vie, l’expérience et leur destin, trois avis animés, hantés par le passé. Car chacune pourrait bien cacher un lourd secret, et l’infinie délicatesse de la plume poétique de Charlotte Monégier nous invite à combler les cases vides.
« Ne t’inquiète pas des tempêtes » est un roman d’une construction tout en finesse, où l’intrigue avance en de lentes et minutieuses touches, dont le rythme s’accélère pourtant au fur et à mesure de l’histoire, récit devenant quasi « thriller » tant la tension monte avec la découverte des premiers secrets enfouis. Ne vous fiez pas à la ligne éditoriale de la collection Territoires de l’éditeur Calmann Levy qui vient d’y faire paraître ce très beau roman. Cette collection renferme habituellement des noms – certains d’ailleurs assez célèbres – d’auteurs du terroir. Ici il n’en est rien. Ce roman est celui de destins brisés, de vies à reconstruire, dans un jeu de miroirs saisissant. Rien ne permet de classer ce récit dans le registre de romans du terroir si ce n’est qu’il prend sa source dans la Normandie rurale. Il est empreint d’une très profonde poésie psychologique qui découle tout au long des 180 pages. Quant au scénario, solide, il est sombre, âpre. Pourtant il ne tombe jamais dans le pessimisme, tenu par cette narration originale, quasi onirique au cœur d’un drame humain.
Pétri de rebondissements, ce roman élégant se lit non sans une certaine frénésie tant le style le porte haut, les secrets sont dévoilés avec parcimonie et intelligence, le soufflé ne retombe jamais. Bien au contraire, la pression reste en constante ébullition grâce au talent de l’autrice. Livre féministe, jamais fataliste malgré les souvenirs tragiques des trois protagonistes. Il ne m’est pas possible d’en dire plus, le risque de dévoiler une partie de l’intrigue n’étant que trop compromettant. La chute est on ne peut plus soignée et permet de comprendre et analyser les séquences antérieures. « Ne t’inquiète pas des tempêtes » envoûte par sa forme, son atmosphère, il est l’une des vraies belles surprises de l’année. Il vient d’obtenir le Prix Jeune Talent Jeannine-Balland 2024. Nul doute qu’il fera son petit bonhomme de chemin.
(Warren
Bismuth)
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