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mercredi 2 octobre 2024

Marion DACKO & Arnaud POCRIS « Les Gergoviotes, des étudiants en résistance »

 


Entre 1940 et 1943 s’est joué au cœur de l’Auvergne un épisode singulier de la seconde guerre mondiale. Sa cause, l’exil, celui de 374000 alsaciens et mosellans dont la moitié de strasbourgeois suite à la signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne nazie en juin 1940 et à l’imminente annexion de la région vers le Reich. L’Université de Strasbourg est alors transférée à Clermont-Ferrand, en zone libre. Nombre d’étudiants vont alors rejoindre la capitale auvergnate. Le plateau de Gergovie se dressant à moins de deux heures à pied du centre de Clermont-Ferrand est déjà célèbre pour la victoire de Vercingétorix contre les troupes de Jules César lors de la bataille en 52 avant Jésus Christ.

Des étudiants alsaciens – mais pas seulement – ont décidé de s’installer sur le plateau dès l’été 1940. Un projet de maison des étudiants se développe immédiatement sous la houlette rigide, autoritaire mais enthousiaste du général de Lattre de Tassigny. Les travaux commencent rapidement, ils sont l’œuvre des étudiants eux-mêmes qui vont conjointement entreprendre des fouilles archéologiques sur le plateau en rapport avec la fameuse bataille de Gergovie sous la direction de Jean Lassus. Ce chantier est aussi un prétexte pour garder les étudiants en zone libre, les protéger de l’occupant.

Un noyau dur et mixte se forme au sein des Gergoviotes, une quarantaine de jeunes permanents. Ici, pas de hiérarchie, même si bien sûr des noms et des caractères se détachent. Y sont dispensés des cours de sports, danse, chant, théâtre. Les fouilles démarrent concrètement à l’été 1941 mais parallèlement, les étudiants, politisés, se mobilisent contre l’Allemagne nazie. Sans être à proprement parler des résistants, ils participent à de petites actions que les auteurs nomment « résistance récréative ». « Le groupe des Gergoviotes n’a constitué ni un mouvement organisé de résistance, ni un maquis. La soif d’engagement de chacun, qu’elle soit individuelle ou collective, y a cependant trouvé des occasions de s’exprimer, galvanisée par des personnalités fortes ». C’est pourtant le début de la résistance estudiantine en Auvergne. Partis de graffitis, collages d’affiches ou distributions de tracts, les actes se durcissent, avec notamment l’utilisation d’explosifs et fabrications de faux papiers à partir d’avril 1942.

Le 25 juin 1943 tout bascule : le foyer des étudiants alsaciens, la Gallia, situé en plein cœur de Clermont-Ferrand, est perquisitionné et raflé. Les arrestations sont nombreuses, notamment chez les Gergoviotes. En novembre, c’est au tour de l’université d’être raflée suite à la dénonciation commise par un résistant dont le livre raconte avec documentation la déchéance. « Le 25 novembre, c’est toute l’université qui est concernée : le foyer « la Gallia », les différentes facultés et la bibliothèque. Au total, 1200 professeurs et étudiants [dont cinq Gergoviotes, nddlr] sont arrêtés par la gestapo assistée de 200 soldats de la Luftwaffe ». L’heure des arrestations a sonné pour les Gergoviotes, quatorze en une année. Celle des déportations aussi, douze durant la même période.

Quelle est la signification de ce nom, Gergoviotes ? Fort vraisemblablement la contraction des deux mots Gergovie et Patriotes. Quant au livre, regorgeant de magnifiques illustrations, il représente une iconographie unique et dense de cette expérience. C’est aussi l’occasion pour les deux auteurs d’agrémenter le tout par des biographies succinctes des principaux protagonistes, nous les faisant mieux découvrir.

Quelques noms reviennent plus souvent que d’autres, celui de la famille Kuder notamment, qui a joué un rôle important. René tout d’abord, qui a peint vers 1941 une fresque murale sur l’un des murs de la maison des étudiants. Sa fille aînée Stéphanie ensuite, déportée à Ravensbrück après l’expérience Gergoviote et son arrestation. Quelques extraits de ses mémoires sur sa déportation sont inclus dans le livre. À ce titre il est intéressant de noter que Stéphanie Kuder se trouve déportée en ces lieux exactement en même temps que Micheline Maurel, qui a plus tard écrit le remarquable « Un camp très ordinaire » à propos de sa déportation (paru aux Editions de Minuit), en même temps que l’ethnologue Germaine Tillion – une auvergnate -, compositrice clandestine de la saisissante opérette pièce de théâtre « Le Verfügbar aux Enfers » alors même qu’elle est en déportation.

Qu’est-il advenu de la maison des étudiants, abandonnée durant l’été 1943 après quatre années intenses ? « La date précise du démantèlement complet du bâtiment reste à ce jour un mystère. La documentation photographique en notre possession montre que la maison est encore en place le 26 septembre 1946, mais qu’au mois d’août 1947, il n’en subsiste plus que les fondations ». Quant aux Gergoviotes, après la guerre les survivants retournent à la vie civile, aboutissant pour certains d’entre eux à une brillante carrière professionnelle.

En 1951 une stèle commémorative est érigée à l’emplacement même du drapeau tricolore que hissaient les Gergoviotes devant leur baraquement. Les anciens acteurs de cette aventure atypique se sont réunis régulièrement jusqu’aux années 1980, faisant demeurer l’esprit des Gergoviotes.

Un point à relever : dès l’entame de ce livre nous sont offerts quelques vers du poète résistant Jean Cassou dont les « Trente-trois sonnets composés au secret » furent publiés début 1944 par les Editions de Minuit clandestines sous le nom de Jean Noir, préfacées par un certain François la Colère, en fait Aragon. Ces sonnets avaient été composés dans la mémoire de l’auteur alors qu’il était prisonnier et que le papier était rationné donc indisponible pour les prisonniers. Il avait profité d’une liberté provisoire pour enfin les écrire, c’est ainsi qu’ils furent publiés en toute clandestinité. Quand l’Histoire rejoint la littérature.

Dans ce travail conséquent, documenté et limpide, d’une extrême rigueur, les auteurs nous guident durant ces 220 pages dans l’Histoire de France mais aussi internationale et universelle, entre la guerre des Gaules et la Résistance de la seconde guerre mondiale, sans jamais mettre de côté le caractère archéologique des chantiers des Gergoviotes. Et puisque l’Histoire ne s’arrête jamais, ils en profitent pour dresser un état actuel des fouilles archéologiques sur le plateau de Gergovie. Plus de 150 illustrations (photos, dessins, etc.) viennent compléter un tableau déjà riche. Ce documentaire historique exceptionnel vient juste de paraître aux Presses universitaires Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand. Quant au bilan humain des Gergoviotes, même s’il ne peut être résumé, en voici quelques chiffres : « On peut évoquer les vingt-deux Gergoviotes arrêtés par les polices française ou allemande, les six qui ont réussi à s’évader, les douze qui ont été déportés, les onze membres de différents maquis, les onze engagés dans l’armée de Libération et les sept qui ont payé cet engagement de leur vie et dont les noms sont désormais gravés sur le granit des Vosges de la stèle dressée à Gergovie ».

Ce livre fait suite à l’exposition présentée sur le site même de Gergovie, plus précisément au Musée Archéologique de la Bataille de Gergovie, exposition montée par les auteurs de ce documentaire d’envergure.

https://www.pubp.fr/

(Warren Bismuth)

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