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vendredi 29 novembre 2024

Anton TCHEKHOV « Le malheur des autres »

 


Lorsque ce recueil de 38 nouvelles est sorti en 2003, il était estampillé « Tchékhov inédit ». La traductrice Lily Denis s’explique en préambule : Tchekhov (1860-1904) a écrit pas moins de 649 récits et nouvelles dans sa pourtant courte carrière (vertige !). Au début du XXIe siècle, seules 250 d’entre eux avaient été publiés en France. La traductrice a donc lu les 399 titres manquants, en a choisi 38. Cependant cette explication est en partie fausse : j’ai repéré certains titres du recueil, titres faisant soi-disant partie (d’après la traductrice) des 399 non traduits, qui avaient pourtant déjà été publiés. Mais ce petit bandeau « Tchekhov inédit » ne pouvait qu’attirer le regard. Le commerce reste le commerce…

Le recueil s’ouvre sur « Lettre à un savant voisin » (non inédit par ailleurs) qui n’est autre que la toute première nouvelle publiée de l’auteur. Toutes les nouvelles ont été écrites entre 1881 et 1887, exceptée la dernière, rédigée en 1898. Dans ce choix de textes, on retrouve tout l’univers de Tchekhov : les médecins de campagne (Tchekhov le fut lui-même) au chevet de leurs malades, le style théâtral (Tchekhov a écrit de nombreuses pièces de théâtre qui continuent aujourd’hui de faire autorité), la compassion, le quotidien de la Russie oubliée sous le tsarisme, la cruauté humaine imbibée ou non d’alcool. Bref, une palette variée de la société russe d’alors, des aristocrates aux miséreux, dans des décors où la nature, bien que ne participant pas directement à l’action, est omniprésente et magnifiquement décrite. 

Ce qui peut être frappant chez Tchekhov pour le lectorat français, c’est justement d’une part l’influence de la culture française, mais aussi l’écriture elle-même, que l’on pourrait aisément comparer à celle d’un Maupassant (autre orfèvre en matière de nouvelles) et dans une moindre mesure à celle d’un Balzac. Tchekhov ne s’apitoie pas, au contraire il use de traits humoristiques pour peindre une situation dramatique. Pas toujours certes. Passent devant nos yeux une brochette d’ivrognes, de ratés splendides ou pathétiques dans de petites scènes du quotidien où l’œil de l’auteur est toujours aux abois pour remarquer le détail d’arrière-plan dans une action parfois comme figée.

Prenons « Lui et elle », un récit parfaitement cruel sur une célébrité, mais aussi et surtout « Ninotchka », une nouvelle de 1885 prônant l’amour libre (Maupassant est encore peut-être passé par là), ou encore « Calchas » qui ne paie pas de mine mais se trouve être la première version de ce qui deviendra la pièce de théâtre « Le chant du cygne ». Autant de nouvelles qui brassent de nombreux sujets de la société russe, sans prendre position (c’est peut-être ici que se séparent les chemins entre un Maupassant souvent très offensif et un Tchekhov simple spectateur).

Il est indéniable à la lecture de ces nouvelles que Tchekhov était aussi (et peut-être avant tout) un auteur de théâtre, tant ses récits sont imprégnés de théâtralité. Mais pourquoi prendre du temps à présenter un auteur déjà évoqué à maintes reprises dans le blog, de surcroît pour un recueil qui date de plus de 20 ans ? Eh bien, à sa lecture, je me suis simplement dit qu’il pourrait être la meilleure façon de découvrir l’atmosphère ainsi que la patte de l’auteur tant les sujets comme les climats y sont variés, tout en restant typiquement russes dans l’âme. De plus la fiction non théâtrale de Tchekhov continue à être maltraitée en France malgré la notoriété de son auteur. Moins de la moitié de ses nouvelles ont été publiées, parfois en doublon, dans des recueils qui semblent avoir pris les textes au hasard, sans grande justesse ni respect (à mon goût). Des recueils certes paraissent souvent, mais souvent aussi ils « hébergent » une partie des mêmes titres que des éditions antérieures, il peut être difficile de s’y retrouver. Et malgré l’intérêt que l’on peut porter à Tchekhov, on finit pas abandonner, certains que l’on ne pourra lire toutes les nouvelles publiées dans un ordre logique. Sans compter que l’on finira par en lire certaines plusieurs fois. Ce recueil me semble cohérent et en tout cas reflète parfaitement les thèmes chers à l’auteur.

Pour aller plus loin, il n’est pas inutile de préciser que beaucoup de recueils de nouvelles de Tchekhov se trouvent aisément en version numérique, gratuite car libre de droits. Certes, les traductions peuvent avoir vieilli, mais j’ai compté que près de 250 sont aujourd’hui disponibles sans verser un sou, et je n’ai constaté aucun doublon. Petite astuce : sur l’un de ces sites dédié aux textes entrés dans le domaine public en France y compris dans leurs traductions, j’ai pu dénicher pas moins de 14 recueils numériques (en .pdf notamment) de nouvelles de l’auteur, avec parfois plus de 30 titres. C’est une mine extraordinaire. Si ce site est pourtant fort connu, vous n’avez peut-être jamais pensé qu’il pouvait renfermer gratuitement la majeure partie des textes de Tchekhov traduits. En voici le lien :

https://www.ebooksgratuits.com/ebooks.php

 (Warren Bismuth)

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