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mercredi 1 octobre 2025

Jean AMILA « Les loups dans la bergerie »

 


Un hameau composé de trois maisons perdu dans les causses. Une jeune femme, Irène, environ 25 ans, y attend son mari Roger. Éducateur, il va venir avec un car plein de jeunes délinquants de la banlieue parisienne, des adolescents de 14 à 17 ans. Il est toutefois devancé par trois hommes patibulaires qui pourraient avoir des actions à se reprocher, des malfrats en somme. Irène les reçoit, déterminée à ne pas leur laisser le champ libre, bien qu’elle ignore tout d’eux. Survient enfin Roger, un mari qu’elle juge vulnérable et auquel les trois hommes ont ordonné à Irène de préciser qu’ils sont des campeurs.

Les jeunes délinquants sont agités et peu coopératifs. Irène, bien qu’ayant peur pour elle, fait preuve d’une certaine autorité que Roger a de son côté du mal à asseoir, en homme qui se cherche. Il est sur ce fait un personnage typique de l’univers de Jean Meckert. Les trois inconnus, le couple et les adolescents vont devoir cohabiter sinon coopérer dans ce bout du monde sans électricité ni eau courante pour un retour à la terre qui ne va pas du tout se dérouler comme prévu par la seule présence des « campeurs ».

Une gifle part et tout s’accélère, tout le monde est sur ses gardes. Qui sont ces trois hommes ? Que veulent-ils ? Quant aux jeunes, ignorant tout d’eux, ils jouent tout d’abord les gros bras pour épater les copains mais se rangent bien vite à l’idée qu’ils ne font pas le poids, y compris devant une femme. « Les gars, on vous a vaguement expliqué pourquoi vous êtes ici. Je ne vexerai personne en disant que vous vous croyez des petits durs et que vous avez l’impression de flanquer la trouille aux bourgeois !... Or, ici, il n’y a pas de bourgeois, vous pourrez rengainer vos effets !... Secundo, ce n’est pas le bagne. Vous avez pu lire à l’entrée, c’est la Vie claire ! Pas de soldats avec des baïonnettes, pas de salut au drapeau !... Vous avez un vieux copain, c’est moi, Roger !... Et une Petite Mère, c’est Irène ! ». L’ambiance devient délétère, jusqu’à des actes de violences inexcusables dont le viol d’une jeune fille de la région.

Par ses personnages, « Les loups dans la bergerie » fait penser à un roman antérieur de Meckert, « Je suis un monstre », signé celui-ci sous son vrai nom. Si « Les loups dans la bergerie » de 1959 est le cinquième roman de Amila (tous sont alors parus dans la collection Série Noire, et Meckert/Amila fut même le deuxième français à avoir rejoint la collection), c’est pourtant le premier signé du vrai prénom de l’auteur, Jean. Les quatre précédents étaient parus sous le nom de John Amila. Avant 1950 étaient parus une dizaine de romans, tous enviables, sous son vrai nom : Jean Meckert. Un autre, un seul sous son véritable nom, suivra au début des années 1970, et il lui coûtera très cher (je vous ai déjà entretenu de ce roman, « La vierge et le taureau », par ailleurs récemment réédité 50 ans plus tard).

Roman noir sans aucun conteste, « Les loups dans la bergerie » est âpre et bien sûr l’argot et le parler populaire de Meckert/Amila fait la part belle à des dialogues savoureux oubliés que n’aurait pas renié un certain Michel Audiard, lui qui démarrait seulement à la même période alors que Meckert/Amila avait déjà largement publié. L’air de rien, Meckert est à la base de tout un roman noir à la française, il succéda de peu à un Georges Simenon (un belge !) dans un style peu usité alors en France. Dès 1942, « Les coups » eurent un grand retentissement, on peut y voir les prémices du roman noir français. Meckert fut pionnier sur pas mal d’aspects de la littérature dite noire, c’est en effet à peu près le premier à faire évoluer son action dans un contexte rural (cette pratique s’est développée à partir des années 2000 pour avoir aujourd’hui le vent en poupe), loin de l’agitation des villes pour une affaire de gangsters. Il est aussi l’un des premiers à faire vivre la langue argotique tout au long de ses livres, paraissant par ailleurs très à l’aise dans un exercice redouté par beaucoup. Tout comme il est l’un des premiers chez Gallimard à passer de la collection Blanche à la Série Noire, deux collections supposées diamétralement opposées.

Son histoire intimiste est non seulement crédible mais elle convoque un espace-temps très resserré ainsi que peu de protagonistes. Monsieur le joue à l’économie. Quant à Irène et Roger, comment vont-ils pouvoir se débarrasser de « leurs » trois malfrats alors que le groupe d’adolescents commence à parler d’une seule voix d’un revolver qu’ils auraient vus, et que Roger est enfin mis dans la confidence concernant le pedigree de ces messieurs ? « Les loups dans la bergerie » est à la fois drôle et poisseux, drôle sur la forme avec ses mots empruntés à un argot pur et dur qui fait que les discussions fusent à toute vitesse par de magnifiques joutes verbales, poisseux par ce climat suffocant, en plein air mais comme dans un huis clos où plusieurs drames se succèdent. C’est un excellent Amila qui regorgent de belles scènes dynamiques dans un scénario bien bâti.

Le personnage de Roger est intéressant au point de vue de l’écriture. Car dès qu’il devient plus sûr de lui, Meckert/Amila ne le mentionne plus par son prénom mais par son patronyme : Valignat, comme pour lui conférer une sorte de respect. Quant à l’esquisse féministe, si elle reste en brouillon avec bien évidemment de furtifs relents masculinistes (l’époque était ainsi conçue), ce sont bien les femmes qui en partie agissent au cœur de l’action et la font basculer, on est loin du roman noir à la papa où la gente féminine ne fait que tapisserie et se borne à séduire. Sur ce point aussi, Meckert est donc un novateur dans le roman noir, et « Les loups dans la bergerie » réserve par ailleurs une fin absolument dantesque !

« Les loups dans la bergerie » vient rejoindre le cycle en cours commémorant les 80 ans de la collection Série Noire, cycle accueillant ici son quatrième auteur (sans compter une mise en bouche par La Noire, autre collection, proche de la Série Noire) d’autres vont bientôt débouler sur vos écrans, ne manquez pas la suite, elle devrait être passionnante !

(Warren Bismuth)

1 commentaire:

  1. Je n'ai pour l'instant lu que Meckert, il faudrait que je me penche sur cet Amila.. et j'attends la suite avec impatience !

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