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mercredi 22 août 2018

Jack LONDON « L'apostat »


Réédition de 2018 ainsi que nouvelle traduction d'une poignante nouvelle de 1906 plus souvent croisée sous le nom « Le renégat » (cependant le titre original en est bien « The apostate »). Elle était notamment présente dans l'excellent recueil de nouvelles « Les temps maudits ». Il ne s'agit donc pas d'un texte inédit. Mais quel bel objet cependant ! Un livre ne se vendant pas uniquement pour son aspect visuel (du moins je l'espère), voyons-en le contenu.

Une nouvelle en partie autobiographique (LONDON avait lui-même travaillé dans une usine de jute dans laquelle il avait souffert dans sa jeunesse) où un jeune homme n'a connu que les murs de la fabrique de jute dans laquelle il est salarié, d'une part il y trime depuis sa prime jeunesse, mais est né dans l’enceinte même de l'usine, sa propre mère qui travaillait au même endroit ayant accouché au travail.

Le quotidien de Johnny peut effrayer : peu de sommeil, vie réglée tel un métronome sur son monde du travail. Il doit gagner sa croûte pour nourrir sa famille (il vit avec sa mère et le reste des enfants), pauvre et désœuvrée. Quelques épisodes effrayants de la misérable vie à l'usine sont contés par LONDON, faisant de « L'apostat » un écrit riche car dense et fourni en détails. De ce quotidien morne, Johnny n'en veut plus, il rejette en bloc le système salarial plus proche de l'esclavage que de l'épanouissement personnel. 

On retrouve dans cette nouvelle le LONDON combattant, dénonciateur, proche des milieux syndicalistes, des socialistes radicaux, un LONDON à fleur de peau qui sait de quoi il parle. En quelques pages il restitue l'atmosphère oppressante du travail en usine du début du XXe siècle, s'attaque au patronat, à la toute puissance, se range du côté des petites gens, les laissant s'exprimer sur leurs ressentis. Ici il se dresse frontalement contre le travail salarié des enfants. LONDON est un très grand de la littérature.

Le format « nouvelle » est toujours téméraire pour un auteur, certains s'y embourbent, mais LONDON s'en sort à merveille en nous faisant vibrer aux côtés de son (anti) héros, son double en quelque sorte. En matière de littérature prolétarienne, sociale, revendicatrice, il peut être vu comme un pionnier, du moins aux Etats-Unis. Disparu à 40 ans seulement en 1916, il laisse néanmoins une bibliographie assez impressionnante, comme s'il était resté une vie entière accroché à son stylo. Beaucoup de ses fictions sont en partie autobiographiques, LONDON ayant vécu plusieurs vies tumultueuses en une seule, un personnage hors du commun, une force de la nature y compris dans l'écriture. Il fait partie de ces écrivains rares, sans concession, sans fioritures, toujours à la limite de la rupture, un écorché vif qui vit ses écrits, les commente avec agressivité. Il a inspiré tellement d'auteurs qu'il serait impossible de voir en cet écrivain une part négligeable de la littérature.

Cette nouvelle est en partie irrespirable par une sorte de huis clos sans fenêtre, sans air. LONDON a le chic pour vous coller une ambiance sinistre et malsaine, bien poisseuse à souhait. À la fin de cette présente nouvelle, doit-on envier Johnny pour sa décision qui le libère de ses chaînes du salariat ou le blâmer pour le fait qu'il abandonne sa famille à son triste sort ? Johnny est de ceux qui sont usés par le travail, qui n'ont rien connu d'autre, qui n'ont pas pris le temps de vivre et réalisent qu'il sera bientôt trop tard. Anéantissement ou espoir ? LONDON reste souvent sur la tangente. C'est sorti en 2018 aux superbes Editions Libertalia dans leur collection « La petite littéraire » et c’est accompagné d’une instructive préface.




(Warren Bismuth)

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