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dimanche 25 novembre 2018

Jacques JOSSE « Comptoir des ombres »


Ce recueil de 2017 pourrait être vu comme une micro-anthologie du travail de Jacques JOSSE : des petites chroniques, de minuscules biographies sous forme de poésie en prose avec l’écriture unique, l’atmosphère singulière et toute délicate de l’auteur. Évocations intimes de personnages croisés ici et là, puis morts pour certains. Quelques repères dissimulés afin de dater l’action : les noms de coureurs du Tour de France, un titre de John Lee HOOKER, la mort d’Otis REDDING, un squat de Saint Brieuc (même si là il faut être un peu à la page de ce qui exista en collectif punk près du port du Légué au début du XXIe siècle), de petits indices, comme oubliés dans la marge puis incorporés.

Les poètes bien sûr, souvenirs encore brûlants, de références en hommages. Intrusion de la Beat Generation, celle qui a tant compté. Tout ceci distillé avec grâce au beau milieu du crachin, du bord de mer suintant ou au cœur d’un hameau, d’un village, de Saint Brieuc bien sûr. De tout petits textes, travaillés à l’équerre, rien ne doit dépasser, rien ne doit faire tache, imbrication au cordeau de mots qui se complètent, se répondent, précisent la pensée, guident sans s’emballer.

Les morts, les compagnons jamais oubliés, viennent boire un dernier verre avant que le cercueil se scelle définitivement, un puissant coup de marteau dans une mélancolie palpable sur le dernier clou, le plus dur à faire pénétrer, les morts continuant à soliloquer. Les figures bretonnes. Oh, pas les célébrités, mais ces petites gens qui ont permis l’image collective, attisé la mémoire, fleuri le souvenir. Chez JOSSE il y a d’ailleurs plus de morts que de vivants puisque c’est bien la mémoire qui est à l’œuvre, une œuvre à part qui sait pourtant se faire intemporelle jusqu’à ce qu’un macchabée surgisse de la brume, clopin-clopant, pour une dernière bordée frisant l’excellence.

En fin de volume, une dizaine de pages, le poète de la nostalgie interviewé par Malek ABBOU. Le travail d’écriture de Jacques JOSSE, c’est encore bien un certain JOSSE Jacques qui en parle le mieux : « La plupart de ceux qui circulent dans mes textes sont des naufragés, des perdants, des exclus, des cabossés de la vie… Mais aucun d’entre eux ne courbe l’échine. Ils n’acceptent pas leur condition. Ils se battent avec leurs moyens. Ils résistent. Ils ont leur dignité ». Ou encore « Être en position de narrateur. Évoquer quelques épisodes de la vie des autres. Qui peuvent souvent croiser et s’entremêler à la mienne. Mais ce sont eux qui suscitent le texte. D’où ce besoin de rester en retrait, à bricoler dans l’arrière-boutique. J’ai du mal avec le « je ». On est soi-même et autre en même temps. Plusieurs en un ».

Tout est dit, tout l’univers de JOSSE est dans ces quelques réflexions. On ressort toujours d’un bouquin de JOSSE totalement bouleversés, ensuqués (sans doute les effluves de l’eau-de-vie, mais possiblement aussi le tangage des vieux navires sur une mer capricieuse, le roulis) mais apaisés. On laisse au vestiaire notre colère après la vie, on croit donner la main à ces accidentés du parcours de vie, on les laisse à regret avec une certaine amertume au fond de la gorge. Un bon cidre fera disparaître cette sensation. D’autant que JOSSE a beaucoup écrit de ces petits bouquins nécessaires, là aussi il distillé ses mots un peu partout chez des petits éditeurs, il nous reste la matière, et c’est bien ceci qui nous rend sereins. D’ailleurs c’est la deuxième fois en quelques mois que je lisais le présent ouvrage.

Le livre est accompagné d’une très jolie préface de Michel DUGUÉ et de photographies pleine page de Michel THAMIN, du noir et blanc, prisme sur le détail, rappelant l’écriture de JOSSE, une écriture d’une rare sensualité, suavité d’un réalisme pur. Paru en 2017 chez Les hauts-Fonds. Et si sur ce blog on semble s’attarder beaucoup sur les livres de JOSSE, c’est parce qu’on les aime d’un amour peut-être effrayant mais d’un véritable amour libre donc partageur.


(Warren Bismuth)

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