Ce recueil de 2017 pourrait être vu comme
une micro-anthologie du travail de Jacques JOSSE : des petites chroniques,
de minuscules biographies sous forme de poésie en prose avec l’écriture unique,
l’atmosphère singulière et toute délicate de l’auteur. Évocations intimes de
personnages croisés ici et là, puis morts pour certains. Quelques repères
dissimulés afin de dater l’action : les noms de coureurs du Tour de
France, un titre de John Lee HOOKER, la mort d’Otis REDDING, un squat de Saint
Brieuc (même si là il faut être un peu à la page de ce qui exista en collectif
punk près du port du Légué au début du XXIe siècle), de petits indices, comme
oubliés dans la marge puis incorporés.
Les poètes bien sûr, souvenirs encore
brûlants, de références en hommages. Intrusion de la Beat Generation, celle qui
a tant compté. Tout ceci distillé avec grâce au beau milieu du crachin, du bord
de mer suintant ou au cœur d’un hameau, d’un village, de Saint Brieuc bien sûr.
De tout petits textes, travaillés à l’équerre, rien ne doit dépasser, rien ne
doit faire tache, imbrication au cordeau de mots qui se complètent, se
répondent, précisent la pensée, guident sans s’emballer.
Les morts, les compagnons jamais oubliés,
viennent boire un dernier verre avant que le cercueil se scelle définitivement,
un puissant coup de marteau dans une mélancolie palpable sur le dernier clou,
le plus dur à faire pénétrer, les morts continuant à soliloquer. Les figures
bretonnes. Oh, pas les célébrités, mais ces petites gens qui ont permis l’image
collective, attisé la mémoire, fleuri le souvenir. Chez JOSSE il y a d’ailleurs
plus de morts que de vivants puisque c’est bien la mémoire qui est à l’œuvre,
une œuvre à part qui sait pourtant se faire intemporelle jusqu’à ce qu’un
macchabée surgisse de la brume, clopin-clopant, pour une dernière bordée
frisant l’excellence.
En fin de volume, une dizaine de pages, le
poète de la nostalgie interviewé par Malek ABBOU. Le travail d’écriture de
Jacques JOSSE, c’est encore bien un certain JOSSE Jacques qui en parle le
mieux : « La plupart de ceux
qui circulent dans mes textes sont des naufragés, des perdants, des exclus, des
cabossés de la vie… Mais aucun d’entre eux ne courbe l’échine. Ils n’acceptent
pas leur condition. Ils se battent avec leurs moyens. Ils résistent. Ils ont
leur dignité ». Ou encore « Être
en position de narrateur. Évoquer quelques épisodes de la vie des autres. Qui
peuvent souvent croiser et s’entremêler à la mienne. Mais ce sont eux qui
suscitent le texte. D’où ce besoin de rester en retrait, à bricoler dans
l’arrière-boutique. J’ai du mal avec le « je ». On est soi-même et
autre en même temps. Plusieurs en un ».
Tout est dit, tout l’univers de JOSSE est
dans ces quelques réflexions. On ressort toujours d’un bouquin de JOSSE
totalement bouleversés, ensuqués (sans doute les effluves de l’eau-de-vie, mais
possiblement aussi le tangage des vieux navires sur une mer capricieuse, le
roulis) mais apaisés. On laisse au vestiaire notre colère après la vie, on croit
donner la main à ces accidentés du parcours de vie, on les laisse à regret avec
une certaine amertume au fond de la gorge. Un bon cidre fera disparaître cette
sensation. D’autant que JOSSE a beaucoup écrit de ces petits bouquins
nécessaires, là aussi il distillé ses mots un peu partout chez des petits
éditeurs, il nous reste la matière, et c’est bien ceci qui nous rend sereins.
D’ailleurs c’est la deuxième fois en quelques mois que je lisais le présent
ouvrage.
Le livre est accompagné d’une très
jolie préface de Michel DUGUÉ et de photographies pleine page de Michel THAMIN,
du noir et blanc, prisme sur le détail, rappelant l’écriture de JOSSE, une
écriture d’une rare sensualité, suavité d’un réalisme pur. Paru en 2017 chez
Les hauts-Fonds. Et si sur ce blog on semble s’attarder beaucoup sur les livres
de JOSSE, c’est parce qu’on les aime d’un amour peut-être effrayant mais d’un
véritable amour libre donc partageur.
(Warren
Bismuth)
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