Un site minier de premier ordre au cœur de
ce récit : celui de la société suédoise LKAB implanté à Kiruna (ville
sortie du sol pour la mine), un site de tous les records : plus grande
mine de fer au monde, ville la plus septentrionale de Suède, elle en est aussi
la plus grande Commune en surface, minerai le plus pur du monde, plus grand
réseau routier souterrain au monde (400 kilomètres de galeries).
Le tableau est gigantesque : 1700
employés dans des mines creusées jusqu’à 1365 mètres sous terre, ce qui a
fragilisé le sol dont des parties menacent de s’effondrer. Aussi il a été
décidé de construire une nouvelle ville à quelques kilomètres, plus sécurisée,
un Kiruna II, afin que les salariés de cet énorme site restent sur place, leur
exode serait catastrophique pour l’économie locale et nationale. Alors il va se
constituer un chantier dans le chantier, un projet démesuré au sein d’un site
démesuré dans une région où l’imaginaire collectif voit plutôt un ciel calme et
sans aspérités : la Laponie.
Oui, tous les chiffres donnent le vertige
en ce lieu : « LKAB. Soit 1,1
milliard de tonnes de minerai extraites en 115 ans, la mine ayant été ouverte
en 1899. Ou encore 25,5 millions de tonnes de minerai extraites en 2013 –
l’équivalent d’une tour Eiffel par jour aime-t-on dire ici ».
Maylis de KERANGAL s’est rendue en Suède
(pour la première fois de sa vie), à Kiruna. Elle est guidée par Lars, employé
de la LKAB au département de la communauté de la mine. Il va lui expliquer en
détails l’histoire de cette mine, souterraine depuis 1965, mais construite dès
la toute fin du XIXe siècle, engendrant violence, alcool, mal-être dans la
ville et sur site, un site qui bien sûr a attiré les voyous, pour des trafics
en tout genre. L’histoire de Kiruna n’est pas de tout repos. Maylis de KERANGAL
la compare au Klondike, cette région immortalisée par jack LONDON où des
néophytes se découvrant une âme de chercheurs d’or partaient faire fortune avec
deux trois outils inadaptés, pour nourrir les familles. La mine de Kiruna s’est
installée au moment même où le Klondike déclinait, même s’il n’y a aucun
rapport.
L’auteure note les témoignages de divers
employés de la mine, de femmes surtout, qui ont dû jouer des coudes pour faire
leur place dans un métier d’hommes, violent et sans pitié. Portrait d’Alice,
cadre française, qui a tenté sa chance, a rencontré un homme, ça l’aide à
tenir. « De fait, à Kiruna comme
ailleurs, la relation des femmes à la mine peut se lire comme une longue
descente, comme l’histoire de la conquête lente, progressive d’un espace
interdit. L’accès au monde souterrain leur fut longtemps défendu, les employer
« au fond » étant tout simplement illégal ».
Voilà, il va falloir déplacer la ville,
20000 habitants à reloger, chantier monstrueux en cours. Entre fascination et
épouvante pour une société humaine sans limites. Récemment, des migrants
érythréens ont débarqué à Kiruna, dans le froid piquant dont a par ailleurs
souffert l’auteure, ils seront peut-être fort utiles à la reconstruction dans
ce monde où les jours puis les nuits n’en finissent pas.
Un récit court, dense et charpenté, dans
lequel fleurissent force détails historiques ou techniques. Maylis de KERANGAL
réussit parfaitement son coup : intéresser le lectorat sur un site méconnu
en Hexagone, mais aussi défi littéraire car ce texte est tout simplement beau
et fort bien écrit, il se lit comme on boit du petit lait, d’un trait. C’est à
la fois crémeux et digeste, paru tout récemment (début 2019) aux toujours
inspirées éditions de La Contre Allée.
(Warren
Bismuth)
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