En 2017, l’annonce de la réédition des
œuvres de Louis-Ferdinand CÉLINE chez Gallimard a mis le feu aux poudres. Tout
du moins chez Louise, une adolescente de 17 ans, petite-fille d’un certain
déporté n°21055, Gilbert dans le civil, prisonnier à Buchenwald. Alors savoir
que les écrits de CÉLINE vont ressortir, y compris les plus haineux, les plus
« hitlero-compatibles », les plus antisémites, pour Louise c’en est
trop. Elle va aller fouiller le passer de la maison Gallimard, mais pas que.
Jacques SCHIFFRIN monte sa première maison
d’édition en 1923 puis la prestigieuse collection de La Pléiade en 1931 qui
intègre les rangs des éditions Gallimard dès 1933, entre autres grâce à André
GIDE qui introduit SCHIFFRIN chez le vieux GALLIMARD. SCHIFFRIN est ensuite
licencié par l’éditeur car juif, il se trouve que justement des lois
anti-juives sont promulguées dans le beau pays de France, il faut obéir nom
d’un petit bonhomme ! À la place de SCHIFFRIN est nommé un poids lourd de
l’antisémitisme intellectuel : Pierre DRIEU LA ROCHELLE, qui se rend
notamment en Allemagne au congrès des grands romanciers européens, accompagné
par le pimpant BRASILLAC.
2012 : par le biais de leur célèbre
collection de La Pléiade, les éditions Gallimard ressortent les œuvres de DRIEU
LA ROCHELLE, auteur qui doit entre autres sa nouvelle notoriété à des
combattants de l’ombre, dont Daniel LESKENS, un néonazi belge militant et
fondu, qui profitera un jour d’être en Allemagne pour pisser sur des tombes juives.
La classe, ça ne se commande pas. Un geste qui devant le tollé général le fera
démissionner de son poste de conseiller municipal d’Anderlecht (quartier de
Bruxelles). Son but ? Réintroduire le fascisme dans le jeu culturel.
L’extrême droite est activement à la manœuvre pour faire réhabiliter DRIEU,
tout ceci n’est bien sûr pas gratuit, elle tente par là de propager ses propres
idées par le biais de Pierrot le sulfureux.
Années 2010 un peu partout dans le
monde : recrudescence des actes antisémites, violence des actes, des
propos, la parole se libère, certains s’appuient sur de vieux écrits pour
encourager la haine. « Mein kampf » entre dans le domaine public et
fait un tabac en Allemagne. « Plus jamais ça » semble vouloir dire
Louise, qui parallèlement cherche des informations sur son grand-père déporté.
Louise possède un profond sens éthique, une conscience sans ambiguïté, un
honneur : elle refuse que, comme DRIEU plus tôt, CÉLINE donne du grain à
moudre à l’extrême droite : « Ce n’est pas possible qu’un tel
éditeur publie ces merdes ! Un ramassis d’immondices assassins ! Et
qu’on ne nous dise pas cette fois que c’est pour ses qualités littéraires qu’on
veut rééditer ces horreurs… Ce n’est pas ce qu’on a envie de lire,
bordel ! Ce n’est pas le genre de littérature qu’on veut transmettre ».
Le sujet s’invite à table en France. Verdict : le 11 janvier 2018, les
éditions Gallimard jettent l’éponge : elles ne rééditeront pas CÉLINE (sa
veuve est d’ailleurs toujours vivante, plus de 100 ans !). Antoine GALLIMARD
annonce « Je comprends et partage l’émotion des lecteurs que la
perspective de cette réédition choque, blesse ou inquiète (…). Au nom de ma
liberté d’éditeur et de ma sensibilité à mon époque, je suspends le
projet ».
Débat toujours houleux dans les cercles
littéraires : doit-on autoriser les rééditions d’œuvres, les auteurs
fussent-ils notoirement antisémites ? Géraldine COLLET ne se propose pas
de trancher au niveau national, elle donne son point de vue sous les traits de
Louise, il se défend. On peut lui arguer la liberté d’expression. Certes. Mais
n’oublions pas qu’aujourd’hui, plus que jamais, des réseaux extrémistes voire
terroristes s’appuient sur des écrits d’auteurs ayant colporté la haine, de
DRIEU à BRASILLAC en passant par tant d’autres, dont CÉLINE. J’ai toujours une
partie de moi qui s’effraie de voir un écrivain contemporain citer l’un de ces
trois auteurs en référence, se faire prendre en photo avec l’un de ses bouquins
en mains, j’ai froid dans le dos. Comme Louise avec GALLIMARD, j’ai envie de le
gifler. Durant des siècles, il y a eu tant et tant d’écrivains (pas toujours
reconnus d’ailleurs), plein de talent et de passion, qui ne se sont pas placés
du côté de la haine. Si je peux comprendre une décision de rééditer des œuvres,
c’est que j’en connais la demande, c’est elle qui crée l’offre, donc le
bouquin. Aux lecteurs, mais aussi artistes (surtout) de se dresser contre la
haine et la propagation d’idéologies nauséabondes, même de manière détournée et
inconsciente. Et même par le prétexte un brin provocateur (« T’as
vu ? Je lis DRIEU et je t’emmerde, je suis libre ! »), j’y vois
quant à moins un poil de voyeurisme et une publicité malsaine qui peut à tout
moment déclencher un brasier. Il vaut parfois mieux savoir lire la lumière
éteinte. À tous les étages d’ailleurs.
Ce petit livre, entre roman et
documentaire d’à peine 60 pages, propose une piste, elle est radicale, elle se
défend, elle est bien menée, par une immersion dans un passé que certains
aimeraient définitivement oublier. Les éditions Rue de l’Échiquier ont choisi
de le sortir en cette année 2019, et je trouve personnellement qu’il a vraiment
de la gueule et qu’il rouvre un débat qui a tendance à patiner.
(Warren Bismuth)
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