Trois
destins s’entrecroisent dans ce roman : ceux de Norbert Grebbe, fonctionnaire
du ministère allemand de l’intérieur, Johanna Schwarz, éducatrice de musée, et
Aryan Shukrula, afghan tentant de fuir son pays en guerre pour rejoindre
Copenhague. Les trois protagonistes voyagent en train, Johanna et Aryan
ensemble, sans se connaître, du moins au début. Les trois destinations sont
différentes.
Grebbe
est une sorte d’idéaliste un peu loin des réalités dans sa vie installée et confortable.
Il croit par ailleurs fermement à l’Europe, et porte en lui une conviction
humaniste un brin utopiste. « Il
rêve d’un monde où il n’y aurait pas à discuter d’oppositions politiques. Où le
bien de l’homme serait au centre, et non le profit et la plus-value. Où tous
les enfants apprendraient des choses intéressantes. Où chacun aurait de quoi
manger et un toit solide au-dessus de la tête, où chacun pourrait vivre avec
ses amis et sa famille. Où ce ne seraient pas la voiture la plus puissante, le
smartphone le plus perfectionné, la maison la plus grande ou le compte en
banque le mieux garni qui décideraient du bien-être des gens ». Il
revient d’une convention européenne sur l’accueil des réfugiés.
Aryan
vit le moment au jour le jour. Il a décidé de quitter l’Afghanistan par train,
payant cher son ticket, il est même muni d’un passeport. C’est dans l’un de ces
trains qu’il fait la connaissance de Johanna, femme engagée, altruiste, qui
voit tout de suite en lui un fuyard en danger. Elle qui vit en collectivité
dans un ancien squat de Berlin décide qu’elle l’aidera coûte que coûte, qu’elle
le prendra sous son aile dans sa demande d’asile.
Beaucoup
de paysages, villes et gares traversés dans un roman résolument social et
politique. En fond mais très prégnant cependant, le parcours de ces migrants,
traversant des frontières au péril de leur vie, tantôt la douane, les
autorités, tantôt l’extrême droite déclenchant des rixes pour les
décrédibiliser, tantôt les passeurs plus ou moins honnêtes qui vendent à prix
d’or une aide pas toujours convaincante. « Certains perdent des yeux leur but. Ils trébuchent, sont ralentis par
des maladies, une frontière se révèle infranchissable, ils confient naïvement
leurs derniers dollars à un escroc. Mais celui qui réussit appartient au monde
des braves, des forts. Il peut bien venir des bas-fonds et être moqué, humilié,
méprisé dans son nouvel environnement – il a fait preuve d’une constance dont
peu sont capables ». Et puis les morts, partis sur des bateaux, tout
ceci pour chercher un peu de bonheur et d’apaisement sur une terre qu’ils espéraient
accueillante.
Au-delà
de ces sujets, nous ferons connaissance avec le parcours des trois personnages,
tous porteurs d’un passé douloureux. Où l’on réalise qu’une rupture sentimentale
peut être prise aussi au sérieux, selon le côté où l’on se place, qu’une fuite
d’un pays en guerre. Pour le sort des exilés, le livre est très précis sur les
démarches, les refus, le chemin de croix pour traverser chaque frontière. Et
les obstacles, toujours plus nombreux malgré l’Europe et les accords de
Schengen. D’un côté les lois, la théorie, représentées par Grebbel. De l’autre
les fuites, les migrants, le parcours en direct, concret, représenté par Ayan.
Entre les deux, un peuple parfois incrédule mais solidaire, ce peuple c’est
Johanna.
Un roman
allemand court, touchant autant que révoltant par l’inhumanité des lois et
pratiques de certains pays, roman à la fois plein de tendresse et d’engagement,
traduit ici par jacques DUVERNET. Il aurait dû sortir en mars aux superbes
éditions Le ver à Soie, mais la pandémie actuelle a ajourné de fait sa
parution. Soyez présents lorsque cette sortie sera effective, vous aiderez une
maison d’édition tout en apprenant le parcours d’un migrant par les temps qui
courent, en lisant avec votre coeur. Mais d’ores et déjà, vous pouvez passer
commande en version électronique.
(Warren
Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire