En 1949
se prépare à Paris le procès considéré comme celui du siècle, pas moins. En
1947 fut publié en France l’essai « J’ai choisi la liberté » de
Vladimir KRAVTCHENKO. Le 13 novembre de la même année, l’hebdomadaire français
Les Lettres Françaises accuse KRAVTCHENKO de ne pas être l’auteur du bouquin,
et même d’être piloté par les services secrets états-uniens, dans un article
virulent signé par un certain Sim THOMAS. KRAVTCHENKO porte plainte pour
diffamation.
Que
contient « J’ai choisi la liberté » ? Une critique vive de
l’U.R.S.S. stalinienne (alors que STALINE est toujours à la tête du pays), et
surtout, sacrilège ultime, la dénonciation des camps de travail, des goulags.
Sujet sensible et même tabou. KRAVTCHENKO est désormais exilé aux Etats-Unis,
donc un citoyen russe passant au vitriol un pays qu’il a quitté pour se
réfugier chez l’ennemi, rien que ceci devient louche aux yeux de communistes
militants dont font partie Les Lettres Françaises. « Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour le peuple russe et pour le monde
entier, pour que tous les hommes sachent que la dictature soviétique, ce n’est
pas le progrès mais une barbarie ». Quant à l’auteur de l’article
initial, Sim THOMAS, il demeure introuvable…
Nina
BERBEROVA est la seule journaliste russe anticommuniste à assister au procès. Il
devait initialement se tenir sur 9 jours, il s’étendra finalement sur 25. Le
livre incriminé, KRAVTCHENKO assure l’avoir entièrement écrit « Ce n’est pas moi qui ai décidé, c’est la vie
même qui l’a fait à ma place », y compris pour certains manuscrits
retrouvés et immédiatement soupçonnés d’être l’œuvre d’un autre. Des personnes
publiques vont venir témoigner, de l’écrivain VERCORS poussif dans son
témoignage, à l’ancienne déportée Margaret BUBER-NEUMANN, dont la déposition va
en revanche faire grand bruit.
Un
procès russe se tenant en France, de quoi voir se déplacer les foules dans une
salle pouvant contenir 300 personnes. Les témoignages des russes victimes du
stalinisme sont attendus, Les Lettres Françaises vont devoir répondre à leurs
accusations de fantasme sur la situation catastrophique en U.R.S.S.
D’un
côté les communistes, vissés à leur idéal, de l’autre les anti-staliniens, tout
de suite mis au rang des anti-communistes, DONC des soutiens d’HITLER (qui
n’est pas avec moi est contre moi, on connaît la rengaine). Tous les coups sont
permis, et on finit par en apprendre de belles « On a falsifié les chiffres de la population de l’U.R.S.S. Ne parlons
pas de ces chiffres, mais disons simplement que le recensement de 1937 fut
détruit, qu’il en fut fait un autre en 1939 parce que le premier fut déclaré
« inopportun » et qu’une partie des gens qui en avaient eu la charge
avaient été « purgés » à tout jamais ». Dans la bouche de
KRAVTCHENKO, STALINE devient Adolphe STALINE, KRAVTCHENKO compare le régime
soviétique au nazisme (soit plusieurs années avant que Vladimir GROSSMAN le
fasse à son tour dans « Vie et destin »). Grosse ambiance.
Ce
procès est un peu surréaliste. Nina BERBEROVA retranscrit les échanges, les
moments forts, les coups bas, les rebondissements. Ce témoignage est d’une
grande utilité : imaginons le même procès mais à Moscou, il eut été,
comment dire… mis en scène ? Tronqué ? Aurait-il tout simplement eu
lieu ? En tout cas il y a fort à parier que KRAVTCHENKO en fut sorti les
pieds devant. Ce procès français est empreint d’une certaine démesure, dans les
paroles, les actes, les réactions, avec une mention spéciale pour les prétendues
conspirations, complots, etc. Quant à la traduction de la présente édition,
elle est assurée par la famille MARKOWICZ, Irène et André, donc forcément une
raison supplémentaire pour se procurer ce livre de poche tout à fait
saisissant.
(Warren Bismuth)
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