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dimanche 4 octobre 2020

Raymond PENBLANC « Phénix »

 


Nous l’appellerons Phénix. C’est le narrateur, il a 12 ans et vit dans un environnement violent, sans foi ni loi. Justement lui, Phénix, a la foi, et plus que de raison. Il va à la messe, y chante à la chorale, il aimerait tellement devenir un nouveau Christ (la dernière lettre de son nom ne représente-t-elle pas une croix ?). D’autant que l’un de ses camarades lui a promis qu’il ne passerait pas l’année. Naissance d’un martyr ?

Phénix est né comme ça, après un retour de prison du père, son père, dont l’ombre envahissante plane comme celle d’un vautour. Un père qui a braqué une banque, a été incarcéré, et dont on ne sait s’il reviendra. Quatre ans avant Phénix, il y avait eu la naissance de Roland, le frère aîné donc, autoritaire et assez vicieux, qui soumet la mère depuis la dernière disparition du père.

La violence familiale, puis celle subie à l’école. Phénix est une victime malgré lui, alors il cherche des échappatoires, dans la dévotion, en faisant du vélo (rouge), en jonglant sur les places et dans les rues, ou encore à travers ses rencontres féminines. Qu’elle s’appelle Amélie, Irène ou encore Ida, Phénix la veut amoureuse et passionnée.

Phénix grandit vite, peut-être trop vite : « C’est comme si je m’étais lancé à la poursuite de celui que j’étais il y a encore trois mois, tout en sachant que je n’arriverai jamais à le rattraper, même si je vais plus vite que la lumière. J’ai peur de mon immobilité si j’arrête, de ma pesanteur si je suis à deux doigts de tomber, du pourrissement de ma chair lorsque je serai mort. Maman pleurera ».

Puis le temps des séparations va advenir. Séparations d’avec les amours, les amis, puis nouveau départ, recherche d’un absolu, d’une raison de vivre, malgré la violence, malgré la famille, malgré l’environnement.

« Phénix » est un roman à multiples facettes : il déverse des images – parfois oniriques (« Avez-vous déjà songé à jongler avec des grains de sables, ou avec des gouttes d’eau ? ») – fortes, exhale des odeurs suaves, injecte des sensations, des sentiments. Il est un roman d’apprentissage, à la fois de la vie, de l’amour, de l’adaptation sociétale, de la tolérance. Il est aussi roman musical, féerique avec ce narrateur comme loin du monde, rêveur insaisissable. Et si ici j’osais une comparaison, quoique assez lointaine, avec la trame (lointaine également dans mes souvenirs) du magnifique « Le petit saint » de SIMENON ?

Récit de l’enfance, il est aussi roman d’un constat : cette société violente dans laquelle il est difficile de trouver un cocon, une zone de confort et de sécurité. Phénix va la chercher contre vents et marées.

« Seulement je garde une odeur et un goût de forêt, une odeur d’humus et de décomposition avancée que je désire chasser, ce pourquoi je plonge deux fois par jour dans la baignoire pleine à ras bord, d’où je ne décide de m’extraire que lorsque j’ai la peau des doigts bien flétrie et les lèvres complètement bleuies. Je ne parle pas, aucune parole, aucune pensée ne me traverse l’esprit, ni après non plus quand je me regarde dans la glace. Opération de déconstruction : s’observer dans la glace jusqu’à perdre son visage et se retrouver comme en présence d’un autre ». Renaissance. Résurrection.

L’écriture de Raymond est très élaborée, elle est ici à la fois violente (quelques scènes sont assez insoutenables), tendre, très poétique et résolument sensuelle. Il y parle d’amour et non de sexe, le spirituel prenant le dessus sur le charnel. Un roman rythmé par les saisons, dont la première est l’automne, les trois autres suivront. Dans l’ordre. À chaque saison son état d’esprit, une couleur du ciel qui évolue au fil du temps, du calendrier.

Sorti en 2015 aux éditions Christophe Lucquin, sa couverture d’un blanc proche de la virginité donne le ton de l’espoir. Phénix le gardera, ce qui le sauvera. Cette fable est une grâce olfactive qui fait pétiller et provoque des rêves, parfois éveillés.

https://www.christophelucquinediteur.fr/

(Warren Bismuth)

*** 

PHENIX - LE MOT DE L'AUTEUR

 

Pour pouvoir me lancer dans l'écriture d'un roman il me faut un élément déclencheur fort. Ce peut être un personnage, une situation particulière, voire une simple phrase. Pour PHENIX il s'agit de la prophétie funeste adressée au narrateur par un camarade de collège. « Tu crèveras avant la fin de l'année ». Cette phrase a effectivement été adressée à un ami alors âgé de 12 ans par un garçon du même âge, et l'incroyable est qu'il y a cru. C'est de cette crédulité qu'est né PHENIX. Qui ne se montre pas que naïf (et impressionnable). Qui est également doté d'une capacité de croire à l'impossible. Et donc au miracle.

 

Commencé en 2003 et apprécié à l'époque par J.M. Laclavetine (Gallimard), René de Ceccatty (Le Seuil), Bertrand Fillaudeau (José Corti), sans déboucher sur une publication, ce roman n'a trouvé sa forme définitive que 10 ans plus tard. Présenté à Christophe Lucquin, il a été accueilli avec enthousiasme et publié dans la foulée en mai 2015.

 

Raymond PENBLANC, septembre 2020

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