L’action : en 2015 en Russie a lieu une prise d’otages dans l’église d’un village. Si le fait divers est fictif, il n’est bien sûr par sans rappeler cette prise d’otages sanglante survenue en 2004 dans la ville de Beslan en Russie.
Le journaliste Pavel Volodine, également narrateur, va suivre de près cet acte terroriste en tant que médiateur. En effet, l’un des preneurs d’otages, Vadim, est une vieille connaissance de Pavel, que ce dernier avait fait libérer quelques années auparavant en Tchétchénie. Les négociations entre insurgés et dirigeants politiques vont commencer. La vie de plus de cent otages (dont seize enfants) est en jeu.
La Tchétchénie fut déclarée État indépendant en septembre 1991 avec Djokhar DOUDAÏEV à sa tête. Mais très vite la tension est montée entre différents pays de l’ex U.R.S.S. devenue la Russie de Boris ELTSINE. S’ensuivent une crise financière en 1998 et l’invasion du Daghestan par les séparatistes tchétchènes en 1999.
Bref roman raconté au présent et ponctué de nombreux flash-backs sur l’histoire politique de la Russie et de certains de ses anciens satellites dont la Tchétchénie, il est ambitieux car retrace en moins de 200 pages près de trois décennies après la chute du communisme. Pavel fait ici office d’historien, il décrit avec force détails les tensions, les guerres, la corruption au sein des appareils étatiques, il est sans concession pour les pouvoirs se succédant, tous exerçant sans scrupules les intimidations, le repli sur soi dans un esprit belliqueux.
« Gorbatchev a amnistié la foi en Dieu, on a fêté le millénaire de la christianisation de la Russie avec autant de pompe que si c’était le jubilé de la révolution d’Octobre, le patriarche devenait à vue d’œil une figure influente et indépendante, et bientôt on a commencé à rebâtir la cathédrale du Christ-sauveur à vitesse grand V, on a rendu les monastères et les églises au clergé, des foules aussi denses que pour un match de hockey se sont formées devant les lieux de culte le jour de Pâques, et les dirigeants se sont pointés à leur tour devant l’autel ».
Le monde post-communiste décrit par CHEVELEV (dont c’est le premier roman) n’est guère ragoûtant : pressions rimant avec corruption, religion, consommation (de vodka notamment). Pavel se remémore dans des chapitres brefs balayant des périodes historico-politiques récentes, et comme nous se demande quelles peuvent bien être les motivations et les revendications des preneurs d’otages. Sur ce point précis, l’ouvrage peut être lu comme un polar politique.
Récit froid mais dynamique, journalistique, il met en lumière les dissensions entre des pays proches géographiquement mais éloignés idéologiquement. Il permet de mieux se rendre compte de l’atmosphère délétère entre la Russie et la Tchétchénie, mais pas que. Mikhaïl CHEVELEV possède un évident talent de conteur et dresse un portrait effrayant d’une partie de l’Europe de l’est.
Ce récit est à la fois un coup de cœur et un coup de poing dans le bide. Parfaitement maîtrisé de bout en bout, il soigne particulièrement la chute. Traduit magistralement du russe par Christine ZEYYOUNIAN-BELOTIS, il fait froid dans le dos, il paraît désespéré quant à l’avenir. Il est un texte indispensable et parfaitement lisible sur la géostratégie du côté de la Russie et consorts. La postface de la célèbre autrice Ludmila OULITSKAÏA met en valeur ce récit âpre, violent et lucide qui vient de sortir. Un outil nécessaire pour mieux se représenter les enjeux des pays post-communistes d’Europe de l’est. J’oserais presque écrire que ce roman hautement politique est un régal, mais la pudeur me l’interdit.
(Warren Bismuth)
J'en ai lu pour l'instant des critiques très positives sur la blogosphère. Je le note !
RépondreSupprimerRoman très fort !
RépondreSupprimer