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mercredi 17 mars 2021

Victorine BROCHER « Souvenirs d’une morte vivante »

 


Pour commémorer les 150 ans de la Commune de Paris, rien de tel qu’un bon vieux bouquin en faisant état, et de surcroît sorti chez Libertalia. On part sur de bonnes bases. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce récit de vie n’est pas un témoignage sur la Commune. Enfin, pas seulement. « Je laisse aux historiens le soin de raconter l’histoire officielle de la Commune, comme je l’ai fait pour le premier siège. Je limite mon récit à ce qui m’est personnel ».

 

Victorine BROCHER (1839-1921) est âgée d’environ 70 ans lorsqu’elle décide d’écrire ses mémoires au début du XXe siècle. Cette ouvrière, femme issue du peuple, fait état d’un vécu assez singulier : fille d’un militant de la révolution avortée de 1848, Victorine en a cependant plus qu’entrevu la révolte, fillette parfois juchée fièrement sur les épaules du papa en pleine manifestation, elle n’en a pas perdu une miette et peut raconter des décennies plus tard.

 

Mais ce témoignage est très loin d’être une autobiographie. Au contraire, soucieuse de retranscrire ce qu’elle a vu dans son parcours de lutte, Victorine s’oublie, parlant des autres, de celles et ceux qu’elle considère comme des braves, des justes. Elle ne fait que peu référence à elle.

 

Et nous voilà embarqués dans l’épopée sociale de la seconde moitié du XIXe siècle, rien de moins ! Car après 1848, il y a les privations, les combats, les débrouilles, les souffrances, la boulangerie coopérative que Victorine cofonde à la fin des années 1860, la débâcle militaire de 1870, la famine toujours, et la proclamation de la Commune de Paris ce 18 mars 1871. « Le suffrage universel avait légalisé le drapeau rouge de l’émeute. Les membres de la municipalité parisienne allaient siéger pour la première fois depuis 1793. Cette fois nous avions la Commune ! ».

 

Dans ce récit écrit par une femme non lettrée, sans instruction poussée, c’est le peuple qui parle, celui qui a souffert, mais aussi lutté pour sa liberté. Victorine BROCHER raconte méthodiquement les années qui ont précédé La Commune et amené à son déclenchement irréfutable. Toutes ces années de luttes et d’injustice dans un Paris exsangue. D’elle, de sa vie, Victorine en dit peu : mari fait prisonnier en 1870, et elle qui a un don pour soigner. Elle sera ambulancière pendant le siège de 1871.

 

Récit teinté d’un grand humanisme, il est rédigé en style direct, sans recherche littéraire, mais veut être lu comme un témoignage, qui de fait est très précieux. La République maintes fois en danger, « Chère République, que de crimes on a commis en ton nom ! », glorifiée sous la Commune. Pourtant, du déroulement de cette Commune, nous ne saurons pas grand-chose, à part ce que Victorine a réellement vu. Elle nous livre tout ceci comme si avant tout le monde elle avait eu une caméra vissée sur le crâne et nous en restituerait la sève.

 

Victorine BROCHER est une humaniste qui souffre avec le peuple, mais ne perd jamais espoir. Malgré les nombreux fusillés sans jugement, comme ça, pan ! Une cartouche versaillaise. Elle rencontre furtivement Louise MICHEL, ne paraît pas impressionnée, elle a mieux à faire, soigner, encore et toujours.

 

La préciosité du récit réside dans le fait que, non seulement Victorine avait vécu 1848 et ses conséquences, mais aussi fait partie des derniers combattants sur les barricades communardes. Jusqu’au dernier jour, le funeste 28 mai 1871. Elle s’est occupé des blessés et des morts durant une semaine dans les rues de Paris, n’a pour ainsi dire rien vu de la semaine sanglante. Mais elle est là, fière et déterminée. Elle ne se mettra pas en avant, d’ailleurs ce récit sera écrit anonymement, son nom ne figurera pas sur la première édition de 1909.

 

Témoignage réédité en 1976, les éditions Libertalia s’en emparent en 2017 pour lui offrir une nouvelle vie, et quelle vie ! Pourquoi ce titre ? C’est à la fois simple et sinistre. En 1871, une femme qui ressemblait physiquement à Victorine BROCHER fut exécutée à sa place. Même la famille de Victorine a cru à sa mort. Elle était donc vivante mais officiellement morte. Ainsi, elle s’enfuit en Suisse après les massacres de mai. Elle laisse un témoignage unique, celle d’une femme au cœur de l’agitation sociale du XIXe siècle, document complémentaire aux indispensables deux grands classiques sur la Commune de Paris : Louise MICHEL « La Commune » et Prosper-Olivier LISSAGARAY « Histoire de la Commune de 1871 ».

https://www.editionslibertalia.com/

(Warren Bismuth)

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