De Niki-Rebecca PAPAGHEORGHIOU on ne sait
presque rien. Sa vie semble être passée sous tous les radars. Grecque née en
1948 d’un père gréco-russe, elle a décidé de quitter ce monde en 2000. Voilà
pour la biographie. Pour l’œuvre c’est autre chose, car la poétesse a publié,
certes peu, mais tout de même. Enfin, en Grèce. Car en France, c’est la
première fois que ses poèmes sont traduits, dans ce superbe volume de Cheyne
éditeur paru en 2017 (il l‘avait été en 1993 dans sa langue et son pays
originaux).
« Le grand Fourmilier » fourmille
de petites trouvailles en prose, d’images gracieuses ou répugnantes. Les textes
s’inscrivent dans un monde extérieur et souvent onirique et intemporel. Des bestioles
divines ou possiblement amenées par le Diable lui-même. Quelques lignes
suffisent pour créer une ambiance, une séquence, pour des fables pouvant
s’orienter vers le fantastique, la mythologie, le surréalisme, en particulier
dans l’allégorie. Ainsi « Naufrage » : « Le bateau a sombré, corps et biens. La
méchanceté des voyageurs surnageait cependant. Un petit poisson en a avalé un
peu et s’est empoisonné. Terrifiés, les requins se sont éloignés ».
Les images arborent une couleur claire mais
leur signification l’est beaucoup moins. Rassuré pourtant, je note qu’il est
agréable de se perdre dans les lignes de Niki-Rebecca PAPAGHEORGHIOU, qu’il
reste toujours quelque chose de son monde bigarré peuplé de femmes, de forêts,
d’être surprenants comme sortis d’un univers parallèle, peut-être un brin
kafkaïen, comme ce personnage de « L’invisible », qui se nomme comme
le héros de KAFKA, et cette bête sorti d’on ne sait où : « La bête est invisible, me dit K. Prends ce
fusil vide et va la trouver. J’errais des journées entières et cherchais dans
les sombres forêts. En Amazonie. Derrière les rideaux aux plis profonds. Dans
tous les tiroirs fermés à clé. Mais la bête ne voulait pas se montrer. Une
nuit, je veillais tout en sueur pensant à elle. Alors elle daigna apparaître
sur le rebord de la fenêtre. Une boule touffue, hirsute. Avec de ces oreilles
émouvantes. C’est la première fois que je me montre à un être humain, me
dit-elle. Pourrais-tu, peut-être, me caresser ? ».
Avec une écriture sensible, sensuelle, la poétesse
fait de ses 49 scénettes des errances solitaires, faussement candides, dans
lesquelles son personnage de La Femme est victime de la violence des Hommes, en
des couples irréconciliables, une souffrance habillée en couleurs chatoyantes,
rendant tous nos sens en éveil et masquant un féminisme pourtant bien présent
par un voile discret. Niki-Rebecca PAPAGHEORGHIOU ne laisse rien au hasard,
jusqu’à la chute, profonde, mystérieuse et soignée, avec le dernier texte,
bref, coupant, « Exhortation » : « Ô hommes, Athéniens, Corinthiens, psychiatres et autres ! Vous
m’avez bien amochée », quelques mots préfigurant la fin même de
l’autrice. Recueil fort, original, il
est de ces sortes d’aimants qui vous attirent irrémédiablement.
Si vous souhaitez grappiller quelques
miettes supplémentaires, sachez que le périodique annuel de poésie « États
provisoires du poème », après s’être refait une beauté en 2016 avec un
numéro – le 16 – consacré à la Grèce, propose deux textes inédits en
français de la poétesse grecque. Et en parlant de ce périodique, après un
changement avec ce numéro sur la Grèce, il continuera quelques années en
proposant des focus sur un pays : le Japon en 2017, puis un superbe numéro
consacré aux Etats-Unis en 2018, l’ultime numéro en 2019 étant un spécial
Russie avant de se saborder. Je vous conseille chaudement ces derniers numéros.
Mais revenons au présent livre : traduit et merveilleusement préfacé par Evanghelia STEAD, il est éblouissant par sa force à pouvoir nous évader un moment d’un monde devenu trop grand et trop abscons. Il est disponible en édition bilingue dans la superbe collection D’une voix l’autre de Cheyne éditeur.
https://www.cheyne-editeur.com/
(Warren
Bismuth)
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