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dimanche 5 mars 2023

Charlotte MONÉGIER « Ma plaie d’Asie »

 


Les éditions Lunatique nous offre une nouvelle fois un livre hybride et déroutant, entre bref roman, recueil de nouvelles, poésie et récit de voyage. Charlotte MONÉGIER, déjà forte de quatre ouvrages chez cette éditrice, remet le couvert.

Si dans sa jeunesse, l’autrice a parcouru le monde armée d’un simple sac à dos, elle se focalise ici sur un long voyage en Asie, tout d’abord en qualité de journaliste, arpentant plusieurs pays : Thaïlande, Cambodge, Vietnam et Laos, en 2007/2008. Elle est alors une jeune femme de 28 ans, ingénue, prête à escalader des montagnes aux sens propre comme figuré, sans oublier de préciser certaines convictions :

« Je n’aime pas l’idée de frontière.

Une frontière, c’est toujours le rappel d’une guerre,

un tracé offensif sur le bord d’une carte ;

elle a beau suivre des fleuves et des flancs de montagne,

s’ajourner des nécessités de la marche

pour s’imaginer oiseau,

elle n’en garde pas moins son goût du sang.

Mais, une frontière, c’est aussi le début d’un voyage.

La perspective d’un nouveau paysage

dont on ne sait rien des lumières ».

Charlotte MONÉGIER décrit dans un premier temps ce que ses yeux lui révèlent, des yeux qui n’ont pas oublié d’observer avec une âme d’enfant. Certains couples viennent sur ces terres pour l’adoption d’un petit loupiot. L’autrice, à cette époque, n’en désire pas, rappelant ainsi la superbe chanson de Henri TACHAN, « Je ne veux pas d’enfants » (l’un et l’autre finiront cependant par en avoir).

La narratrice – puisque la fiction s’invite en ces pages – tombe d’ailleurs enceinte pendant le voyage au Cambodge. Si l’avortement y est légal depuis 1997, il est cependant peu pratiqué par les médecins du pays, question de religion. Alors il faut s’informer, dénicher une adresse où l’opération pourra être réalisée sans risque. C’est aussi cela que le texte raconte : les lois et coutumes des pays visités, en de brèves scénettes mêlant poésie, contemplation et engagement.

Puis l’horizon se fait plus ample, les yeux se posent sur le destin de femmes mal aimées ou avec une sensation de ne pas être aimées du tout. Charlotte MONÉGIER dépeint, envisage un futur meilleur, une utopie, un manifeste pour un monde plus égalitaire.

La plume de l’autrice, délicate et sensitive (le mot clé de son œuvre générale est sans doute « peau »), hypersensualisée, sait pourtant se faire piquante, s’insurge contre les injustices. En de brefs chapitres comme autant de poésies formant un tout, Charlotte MONÉGIER partage ses émotions, ses amours comme ses désillusions. À Saigon notamment (rebaptisée Ho Chi Minh-Ville en 1975 suite à la fin de la guerre du Vietnam précise l’autrice) :

« Saigon est une ville tentaculaire

aux centaines de marchés ;

une ville aux quartiers d’araignées,

aux soupes odorantes et à la langue inconnue ;

elle est bourrée de vélos et de silhouettes hostiles ».

 

L’enfant qu’elle n’a pas voulu la hante longtemps avant que deux petits bouts de chou viennent, des années plus tard, illuminer sa vie. Une vie qui pourtant bascule de ce fait, il lui faudra désormais repenser les voyages, les remettre à plus tard, les imaginer autrement, dans un futur peut-être lointain.

Ce livre est un peu l’aboutissement de tous les textes de la poétesse parus chez Lunatique, il en convoque tous les thèmes, dans une langue à la fois très sensuelle, érotique, féministe et contestataire. Charlotte MONÉGIER accomplit parfaitement le challenge imposé par elle seule. Elle nous guide avec une immense délicatesse vers les traces de son passé, réel comme imaginaire. En 120 pages, elle nous balade dans son sac à dos, nous permettant de lever le nez avec elle sur l’état du monde, de son monde, et c’est beau, tout simplement. Livre paru tout récemment chez Lunatique, il se clôt par 14 photos couleur prises au cours de son séjour, de quoi mettre une image sur les écrits, en dévoiler le décor réel.

https://www.editions-lunatique.com/

(Warren Bismuth)

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