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samedi 23 juin 2018

Dominic COOPER « Vers l'aube »


J’ai bien peur que cela me soit très difficile de présenter l'écossais Dominic COOPER de la même manière qu’un autre auteur, car il tient à mes yeux une place particulière, prépondérante. Ce type a écrit en 1975 « Le coeur de l'hiver », un pur chef d’œuvre du « nature writing ». Attention, pas la nature qu'on contemple avec des jumelles de compétition, non, celle qui fait mal, qui écorche, qui est au-dessus de l'humain, qui le dirige, indomptable, d'une puissance infinie, indestructible. Celle qui tue dans toute sa flamboyance. Ce « coeur de l'hiver » est peut-être le roman le plus fort que j'ai lu dans le style, un monument, un texte magistral, une histoire pourtant minimaliste. Mais savez-vous quoi ? C'était là son premier roman. Un début en fanfare, souffle coupé par tant d'amour et de respect de la nature. On n'était pas loin de crier au génie.

1977, rebelote avec un deuxième roman, présenté ici, « Vers l'aube ». J'y reviens dans quelques instants, encore un livre majeur, exceptionnel, une récidive inespérée. 1978, « Nuage de cendres », troisième roman avec en toile de fond l'éruption gigantesque du volcan Laki en Islande en 1783, je ne l'ai pas terminé, sentiment d'une imagination qui se tarit, se dégrade, cependant pas d'autodafé, c'était forcément moi qui n'étais pas en condition, je le reprendrai un jour. Bientôt. Promis.

Trois romans en quatre ans c'est beaucoup, monsieur est prolifique. COOPER a alors 34 ans et un boulevard devant lui en guise de carrière. Mais aussi incroyable que cela puisse paraître, c'est là précisément qu’est signée sa fin de carrière, il ne va plus écrire, lui qui a sorti deux œuvres merveilleuses et indispensables d'une force époustouflante, incommensurable. Fin d'un génial écrivain. Dominic COOPER est toujours de ce monde et n'a plus écrit depuis 40 ans. Les informations le concernant sont rares, presque nulles.

 Son parcours a un goût unique, à la fois émouvant et une impression de gâchis tellement le potentiel était immense. Mais quand tout a été écrit dans deux romans, pourquoi souhaiter absolument faire une longue carrière (souvenons-nous d’Emily BRONTË ou de M. AGUEEV, un roman et puis s'en vont) ? Je me suis égaré, j'en conviens. Retour à « Vers l'aube ». Si vous avez bien suivi, vous savez d'ores et déjà que j'aime particulièrement ce livre que je lisais pour la deuxième fois (ce qui est très rare chez moi), et deuxième énorme gifle. En voici la trame.

Un 4 août survient le mariage de Flora, fille de Murdo Munro, 59 ans. C’est aussi un 4 août qu’il s’est marié avec Margaret pour des épousailles classiques accouchant d’un couple routinier, qui s’ennuie. Murdo est garde forestier, sentiment d’être passé à côté de sa propre vie. Détachement obligé pour sa fille Flora, surprotégée par une mère possessive.

En pleine cérémonie de mariage, Murdo étouffe et se barre. D’un coup de tête, comme ça, sans regarder derrière. Il décide de déserter après avoir mis le feu à sa propre maison d’Acheninver quelque part en Ecosse profonde. Il veut fuir son île, mais il y est connu, donc il part se cacher dans la forêt. Il pense fuir par la mer, celle même où son père est mort à la suite d’un naufrage. Sa mère a levé aussi les bottines, crise cardiaque. Il avait bien récupéré la maison familiale mais l’autoritaire Margaret l’avait rapidement convaincu de vendre.

Dans sa fuite, il rend visite à sa sœur Bessie, mais la relation entre Murdo et Alec, mari de Bessie, est épouvantable. Pour pimenter le tout, un accident stupide dont Murdo est coupable blesse Dougie, l’enfant de Bessie et Alec. Murdo est définitivement rejeté, d’autant que le couple a appris qu’il est recherché par la police. Dougie appréciait beaucoup Murdo, ce qui rendait Alec encore plus furieux. Cet accident tombe plutôt bien pour s’en débarrasser. Murdo va alors errer dans les montagnes afin de se planquer, se sentant traquer, c’est là qu’il rencontre Hector…

C’est le roman de la fuite en avant, inexorable, avec ces moments proches du scénario catastrophe puis des instants de grâce, pure, vraie. C’est à coup sûr un livre profondément contemplatif, une nature d’une rare puissance, dévastatrice, ordonnant à l’Homme de la respecter, de la suivre et se plier à ses exigences. Nous tenons là des moments exceptionnels, privilégiés. Le scénario est minimaliste, expurgé, pour mieux mettre en scène dame nature. Les passages lui étant réservés sont tout simplement prodigieux, plusieurs dizaines de pages à couper le souffle au propre comme au figuré. Ce roman est d’une noirceur totale, sans espoir de gaîté subite. Les descriptions et le lieu (l’Ecosse rurale), ainsi que les traditions (la tourbe !) rappellent celles de Peter MAY, peut-être un poil plus intimistes si cela est toutefois possible. Murdo n’est que le faire-valoir du personnage central, la nature. Un moment rare de lecture. Quant à la fin, je vous laisse la découvrir, elle est parfaite.

La destinée de cet écrivain me touche beaucoup, ce sont de telles rencontres littéraires qui nous confortent dans l'idée (l’envie devrais-je dire) de creuser, de chercher le petit écrivain oublié au milieu des autres, des géants, de réhabiliter en quelque sorte un auteur passé inaperçu, lui permettre une nouvelle vie. J'insiste sur le caractère exceptionnel des deux premiers romans de COOPER. Peut-être que personne, ni avant ni après, n'a autant louangé, magnifié la nature sauvage et inflexible avec une écriture qui transpire l'amour vrai pour la Terre. Cette écriture poétique, sensible, violente parfois, proche de la perfection car chaque mot compte et possède un poids, une âme.

Chez COOPER, les humains ne sont que des prétextes, c'est la nature la seule « héroïne » du roman, tout le reste n’est qu’un détail. Et pourtant même les personnages sont solides et charpentés, comme inusables et inoxydables eux aussi. Ce sont les Editions Métailié qui ont eu l’idée lumineuse d'éditer l’intégrale de COOPER pour la première fois en français, de 2006 à 2012, un livre tous les trois ans, 30 ans après les publications originales (« Vers l'aube » a été réédité en 2009). Que Métailié soit ici vénéré jusqu'à la nuit des temps.

Beaucoup d'auteurs ont eu un immense succès, à tort ou à raison, ont franchi les siècles, les guerres et les tourmentes. Mais s'il n'en restait qu'un après tout à sauver, pourquoi ne serait-ce pas COOPER plutôt qu’un autre, COOPER cet invisible génie ? Pourtant, il ne restera sans doute pas dans les mémoires, ce qui ne nous empêche nullement de faire partager ces joyaux d’un autre temps, pas si éloigné que cela, les générations futures devront se souvenir que Dominic COOPER fut rare et précieux, elles devront respecter la nature, la contempler, comme lui l’a fait. Immense auteur qui n’aura publié que 600 pages en 4 ans et trois romans et qui, je le crains, ne sera plus jamais réédité, devra retourner dans les méandres de l’inconnu, dans lesquels tant d’auteurs naviguent dans l’opacité. La bonne nouvelle est que ces trois titres sont encore disponibles, parlez-en à votre libraire, utilisez la force, menacez-le s’il le faut pour qu’il vous commande ces bijoux. Vous aurez ainsi sauver du néant des chefs d’œuvre littéraires, des lignes qui n’ont pas de prix.

https://editions-metailie.com/

(Warren Bismuth)

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