Recherche

jeudi 7 juin 2018

Marie-Eve et Jean-Jacques DE GRAVE « L'histoire de Ned Kelly »


Un petit objet sympa comme tout, à ranger parmi la grande collection des « Inclassables ». Il peut être mis dans le casier « Bandes dessinées », certes, mais l'écriture n'est pas sur la même page que les dessins, la présentation n'est pas « conventionnelle ». Et d'ailleurs, les dessins, parlons-en : c'est de la linogravure pleine page, vous savez, ces sortes de pochoirs taillés minutieusement dans du linoléum. Pour accomplir cette besogne scénario + visuel, ils sont deux, le père et la fille. Le père au cutter et la fille au stylo. En postface, la fille pleure la disparition du père, relate la passion paternelle pour la linogravure, ça c'est pour les auteurs.

La trame à présent : une biographie succincte, comme éclair, de Ned KELLY, « chef » d'une bande de gangsters férocement inspirés par Robin des Bois. Marie-Eve DE GRAVE raconte tout ça d'une manière simple, à l'américaine, de sorte qu'on a le sentiment d'être plongé en plein western. D'ailleurs, pourquoi pas ? Ce gang a existé à la fin du XIXe siècle, c'était certes en Australie, en Tasmanie plus précisément, mais ils avaient des flinguots de compèt', du courage, se situaient en dehors de la loi et n'avaient pas froid aux yeux. Puis les gravures sont là pour nous rappeler l'ambiance western, d'autant que l'on sait d'entrée que le sympathique Ned KELLY va se voir offrir un joli nœud coulant en guise de pot de départ pour la Grande Inconnue, alors vu comme ça, on a du mal à ne pas s'imaginer les grands espaces, la poussière laissée par les galops des chevaux, la soif au coeur d'une nature déserte et aride, et la miraculeuse flasque de whisky qui épanche.

La famille KELLY avait quelques prédispositions pour le bordel ambiant. Le père, émigré irlandais, avait déjà écopé de sept ans de taule en 1841 pour avoir chouravé deux cochons, il y rendit son dernier souffle, Ned avait 12 ans, donc forcément ça marque.

Ned va être élevé en partie dans la nature, apprendre la vie. À 16 ans, troisième (déjà !) expérience par la case prison, trois ans pour vol de cheval, Ned parle d'erreur judiciaire. Une famille KELLY qui selon la mère est poursuivie par la guigne. Pas faux, car tout bascule à nouveau. D'un côté le frérot, Dan, qui file du mauvais coton en subtilisant des chevaux, de l'autre FITZPATRICK, un flic ivrogne qui mate avec un appétit un peu insistant la frangine de Dan et Ned. Il joue les fiers-à-bras et vient un beau jour pour arrêter Dan dans l'enceinte familiale. La mère l'assomme avec une poêle à frire. Un bilan respectable : maman KELLY au trou, ses deux fils recherchés et têtes mises à prix. Western vous dis-je. Les bambins en fuite, puis fusillade avec les flics, un représentant de l'autorité sur le carreau, puis un autre, un troisième, ça commence à faire beaucoup.

C'est parti pour la survie en plein bush avec excursions brèves dans la civilisation, braquage d'une banque pour redistribution à des prisonniers expulsés de leurs terres. Les proches des frères KELLY commencent à être inquiétés par les autorités. Alors le duo joue la carte de l'intimidation : il déboule colts au vent dans un bureau de police, y enferme deux flics dans une cellule et les fout à poil.

L'équipe KELLY est désormais traquée pendant trois mois. Au programme : un déraillement de train aidés par des complices, avec prise d'otages à la clé. Irruption des flics, nouvelles fusillades, ça devient une manie. Dan le frangin s'écroule. Mort. Ned est arrêté et, au cours d'un procès là aussi de trois mois, finalement condamné à mort et exécuté le 11 novembre 1880. Il a 25 ans mais déjà un sacré vécu. Ainsi va la vie. Vous avez remarqué ? Les deux prénoms des frangins mis à la suite, Dan et Ned, c'est pas loin de donner un truc du genre « Damned ».

Superbe roman graphique sorti chez Hélium en 2017. Ah, ne cherchez pas non plus à le classer niveau public à viser. Certes l'histoire est racontée comme pour des ados, mais la violence, mais les dessins, mais l'épilogue, avec cette destinée pas si éloignée de celle de Bonnie & Clyde. En tout cas ça donne très envie de lire « La véritable histoire du gang Kelly », biographie romancée de Peter CAREY, 400 pages de 2003 qui doivent sévèrement défourailler. On croisera peut-être son chemin un jour, armés ou pas, mais avec une fiole de Scotch en guise de bavoir, ça c’est plus sûr.

http://helium-editions.fr/

(Warren Bismuth)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire