Recherche

samedi 2 juin 2018

Gaëlle JOSSE « Une longue impatience »


Bretagne, quelque part dans les années 1950, un couple recomposé : Anne la narratrice, mère d'un Louis issu d'un premier mariage avec Yvon, puis une Jeanne et un Gabriel dont le père est Étienne, actuel compagnon d'Anne. Une dispute éclate entre Étienne et Louis, 16 ans, certes pas la première, mais ce coup-ci elle se termine par un coup de ceinturon du beau-père, le geste de trop, Louis se tire. Son vrai père, Yvon, est mort en mer, en 1943. Eh oui, en Bretagne on meurt souvent en mer ou à cause de l'alcool.

À la perte de ce premier mari le chagrin d'Anne fut alors immense, incommensurable. Étienne l'a comme ramenée à la vie (il faut dire qu’il lorgnait sur elle depuis déjà pas mal de temps même lorsqu’elle était avec Yvon), ils se sont même mariés en 1945, juste après la guerre, avec le petit Louis en guise de cadeau pour Étienne. Seulement voilà, lorsqu’Anne tomba enceinte, Étienne commença à s'acharner sur Louis, jusqu’au ceinturon fatal. Donc Louis s'est fait la malle. En mer, comme papa. Ni Anne ni Étienne n'en savent plus. Chez eux, on ne parle pas de Louis, sujet tabou, chacun souffre en solitaire, chagrin exclusif. Anne écrit des lettres à son fils, dans lesquelles elle lui fait part de ce que sera désormais leur vie ensemble, celle à venir, celle qu'ils vont reconstruire, à nouveau à cinq, comme avant.

Dans le village, les ragots, les rumeurs, les regards fuyants : Anne remariée à peine veuve, puis ce fils adolescent qui fugue. En plus Anne et Étienne sont de deux classes sociales différentes, un peu crasseuse et débraillée la Anne, pas fréquentable. Un nouveau drame va se jouer, et ce n’est pas le plus printanier.

Avec une infinie pudeur, Gaëlle JOSSE se glisse dans la souffrance d'un couple avec une écriture minutieuse et intimiste, délicate, imagée, nostalgique par moments. Et puis, alors que l'on ne s'y attend pas, apparaît un épisode méconnu de la seconde guerre mondiale en Bretagne dont CHURCHILL fut l’un des protagonistes. Car si ce roman n'est bien sûr pas historique, il est cependant bien ancré dans une période, celle de la reconstruction d'un pays, d'un peuple, mais aussi d'individus (on apprendra comment Yvon est mort en mer), travail de grande ampleur pour les uns et les autres.

Toute la sensibilité de Gaëlle JOSSE transpire à chaque page, la souffrance infligée aux animaux afin qu'on les bouffe, les difficultés des familles recomposées comme en calque de la renaissance d’après-guerre, la déchirure éternelle de la perte d'un proche, l'impossible nouveau départ, les séquelles, la nausée, le désenchantement. Le tout se lit très vite et c'est une pure régalade. Nous reparlerons de cette auteure, ayez confiance ! Ce petit en-cas à déguster entre deux gros pavés littéraires est sorti fin 2017 aux Éditions Noir sur Blanc. Je reprendrais bien un amuse gueule, même si le terme ne sied pas précisément à cette ambiance mortifère.


(Warren Bismuth)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire