Santiago H. AMIGORENA nous livre, dans « 1978 »,
le récit particulier de lycéens en classe de première qui voient débarquer, en
retard, un jeune argentin tout juste arrivé à Paris.
Ce jeune homme débarque dans tous les sens du
terme : dans l'établissement, devant les profs, et atterrit dans ce petit
groupe d'amis déjà bien liés parfois depuis la maternelle.
Personnage singulier que ce jeune argentin
qui tour à tour s'isole pour écrire, pleure sans raison apparente, charme toutes
les filles qu'il aime à la folie mais qu'il ne touche jamais, et contredit
systématiquement ses camarades lors de débat d'idées. Bientôt il s'impose
presque comme le leader de ce petit groupe qui sèche allègrement les cours pour
aller traîner de bars en cafés parisiens et où l'argentin déclame de la poésie
comme s'il respirait.
Un groupe d'ados comme il en existe
tellement, que l'on soit en 1978 ou en 2018.
Ce roman est celui d'une transition. Entre
deux époques : les années 70 se terminent, nous sommes à la porte des
années 80. Entre deux états, l'adolescence et l'âge adulte. Le passage est
formalisé aussi par la prise de conscience du narrateur du statut de réfugié de
son ami, logé dans un petit deux pièces d'un foyer d'immigrés qui l'accueille,
réalité complètement niée d'ailleurs, tout au long du roman et qui émerge comme
une porte qui claque dans les dernières pages.
Les larmes du jeune immigré prennent
effectivement tout leur sens, perdu entre deux pays, une terre d'accueil et un
pays natal qu'il a fui, son identité est questionnée, en transition elle aussi.
Quelques portraits enseignants viennent
compléter le tableau. Parfois truculentes, parfois méchantes, ces descriptions,
faites par l'oeil acéré de l'adolescent en pleine rébellion sont toujours
drôles mais tranchées. Le professeur de français notamment, figure centrale du
conformisme franco français, flanqués de normes obsolètes (toujours d'actualité
néanmoins), aux exigences démesurées, se trouve injuste en rendant au jeune
homme des devoirs où toujours figure la plus mauvaise note de la classe.
Ironique quand on apprend quelques pages plus loin que ledit adolescent aura
les meilleures notes au bac de français !
C'est un roman sur l'amitié naissante et sur
l'amitié qui se défait, très rapidement à l'image de cette période de
transition où l'enfant n'a plus sa candeur originelle mais où l'adulte est
encore refoulé. Le clash se cristallise dans une bataille de
choux-fleur/paupiettes à la cantine. Premiers émois sexuels (ou au moins des
interrogations), premières clopes, prises de conscience de la réalité, diluées
dans les bêtises enfantines toujours prêtes à surgir.
Il y a quelques très jolies descriptions des
rues de Paris, quand on suit ces adolescents qui se cherchent spirituellement
comme ils cherchent leur chemin dans la capitale, petit à petit acceptant
d'aller plus loin vers des contrées inconnues.
Emprunt de nostalgie, ce court roman est une
tranche de vie teintée de cette amertume particulière qu'ont les moments de
grâce qui passent trop vite. Ces moments que l'on quitte inexorablement, qui
nous manquent mais que l'on sait ne plus jamais pouvoir exister. Et si l'on a
manqué quelque chose, il ne nous reste que nos regrets et nos souvenirs.
Chez P.O.L, avec un goût de reviens-y pour
cet auteur dont j'ai trouvé la prose très agréable à lire.
http://www.pol-editeur.com/
(Emilia
Sancti)
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