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jeudi 31 mai 2018

MIKAEL « Giant »


New-York city, 1932, l’extension industrielle et capitaliste bat son plein, l’essor semble inexorable. Nombreux sont les migrants, notamment européens, venus chercher du travail aux Etats-Unis. Parmi eux, Ryan et Giant, deux irlandais trimant sur l’édification de gratte-ciel, boulot ô combien périlleux. Ryan, le rigolo, petit et mince, bavard, tête en l’air. Giant est son exact opposé : immense, costaud, profil d’armoire à glace, triste, tourmenté, taiseux, renfrogné, précis. Ils font équipe sur le chantier et une amitié va même naître, avec en toile de fond la femme de Ryan qui écrit des lettres à son mari, sans réponse, et un Giant qui les intercepte. C’est alors qu’une tragédie se produit.

Si Ryan peut vaguement faire penser au personnage maigrichon de Laurel et Hardy, Giant évoque le Lennie du chef d’œuvre de STEINBECK « Des souris et des hommes ». Frappant. Mais cette BD en deux volumes n’est pas qu’une histoire d’amitié, loin de là. En effet, 1932 c’est la crise, trois ans après le crash boursier ayant entraîné de nombreuses faillites. C’est aussi l’époque de la toute puissance de la firme ROCKFELLER (le bâtiment en construction dans cette BD étant le Rockefeller Center), des ouvriers payés à coups de lance-pierres, surtout s’ils sont étrangers. En Europe c’est aussi la montée du nazisme avec des manifestations jusqu’aux Etats-Unis.

Le fait que les deux héros de ce récit soient irlandais n’est pas anodin, l’I.R.A. va jouer un rôle (je ne peux vous en dévoiler plus).

Cette BD du franco-québécois MIKAEL est une petite merveille : l’atmosphère des années
30 est brillamment restituée, les couleurs ne sont pas agressives, plutôt sur un ton marron passé, le scénario est très convaincant. C’est aussi le processus de construction des gratte-ciel que l’on suit page après page. Bien sûr on pense à STEINBECK (surtout « Les raisins de la colère »), Upton SINCLAIR, Jack LONDON et quelques autres.

L’auteur n’oublie pas le petit clin d’œil à cette photo qui a fait le tour du monde : onze ouvriers assis sur une immense poutre d’acier, en équilibre dans le vide, tout le monde s’en souvient. « Giant », c’est un peu l’épopée de cette photo, tout ce qui s’est passé autour, les accidents, les morts, la misère, la solidarité ouvrière, la faim, mais aussi la bonne humeur entre camarades. C’est enfin l’émergence sans fin de la compétition des buildings touchant le ciel, le début de cette folie de l’homme construisant par empilement pour ne pas trop perdre de place au sol, on ne sait jamais, des fois que les places laissées vacantes puissent être constructibles à leur tour et rapporter d’autant plus. « Giant », c’est un peu l’héritier de la littérature prolétarienne d’avant la deuxième guerre mondiale, c’est tout simplement superbe.

Ne pouvant pas trop entrer dans l’histoire proprement dite (chaque vignette ayant son importance), je vous laisse découvrir ce diptyque social et politique sorti en 2017 et 2018 chez Dargaud.


(Warren BISMUTH)

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