New-York
city, 1932, l’extension industrielle et capitaliste bat son plein, l’essor
semble inexorable. Nombreux sont les migrants, notamment européens, venus
chercher du travail aux Etats-Unis. Parmi eux, Ryan et Giant, deux irlandais
trimant sur l’édification de gratte-ciel, boulot ô combien périlleux. Ryan, le
rigolo, petit et mince, bavard, tête en l’air. Giant est son exact
opposé : immense, costaud, profil d’armoire à glace, triste, tourmenté,
taiseux, renfrogné, précis. Ils font équipe sur le chantier et une amitié va
même naître, avec en toile de fond la femme de Ryan qui écrit des lettres à son
mari, sans réponse, et un Giant qui les intercepte. C’est alors qu’une tragédie
se produit.
Si
Ryan peut vaguement faire penser au personnage maigrichon de Laurel et Hardy,
Giant évoque le Lennie du chef d’œuvre de STEINBECK « Des souris et des
hommes ». Frappant. Mais cette BD en deux volumes n’est pas qu’une
histoire d’amitié, loin de là. En effet, 1932 c’est la crise, trois ans après
le crash boursier ayant entraîné de nombreuses faillites. C’est aussi l’époque
de la toute puissance de la firme ROCKFELLER (le bâtiment en construction dans
cette BD étant le Rockefeller Center), des ouvriers payés à coups de
lance-pierres, surtout s’ils sont étrangers. En Europe c’est aussi la montée du
nazisme avec des manifestations jusqu’aux Etats-Unis.
Le
fait que les deux héros de ce récit soient irlandais n’est pas anodin, l’I.R.A.
va jouer un rôle (je ne peux vous en dévoiler plus).
Cette
BD du franco-québécois MIKAEL est une petite merveille : l’atmosphère des
années
30 est brillamment restituée, les couleurs ne sont pas agressives,
plutôt sur un ton marron passé, le scénario est très convaincant. C’est aussi
le processus de construction des gratte-ciel que l’on suit page après page. Bien
sûr on pense à STEINBECK (surtout « Les raisins de la colère »),
Upton SINCLAIR, Jack LONDON et quelques autres.
L’auteur
n’oublie pas le petit clin d’œil à cette photo qui a fait le tour du
monde : onze ouvriers assis sur une immense poutre d’acier, en équilibre
dans le vide, tout le monde s’en souvient. « Giant », c’est un peu
l’épopée de cette photo, tout ce qui s’est passé autour, les accidents, les
morts, la misère, la solidarité ouvrière, la faim, mais aussi la bonne humeur
entre camarades. C’est enfin l’émergence sans fin de la compétition des
buildings touchant le ciel, le début de cette folie de l’homme construisant par
empilement pour ne pas trop perdre de place au sol, on ne sait jamais, des fois
que les places laissées vacantes puissent être constructibles à leur tour et
rapporter d’autant plus. « Giant », c’est un peu l’héritier de la
littérature prolétarienne d’avant la deuxième guerre mondiale, c’est tout simplement
superbe.
Ne
pouvant pas trop entrer dans l’histoire proprement dite (chaque vignette ayant
son importance), je vous laisse découvrir ce diptyque social et politique sorti
en 2017 et 2018 chez Dargaud.
(Warren BISMUTH)
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