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dimanche 13 mai 2018

Patrick ROTMAN & Sébastien VASSANT « La veille du grand soir – mai 68 »


Après un roman graphique « octobre 17 » célébrant à sa façon le centenaire de la révolution russe, ROTMAN donne le sentiment d'apprécier les commémorations avec, pour le cinquantenaire de mai 68, cette nouvelle BD au coeur des événements historiques. Cette fois-ci, c'est Sébastien VASSANT qui se colle aux pinceaux deux ans après sa superbe « Histoire dessinée de la guerre d'Algérie » en tandem avec Benjamin STORA. La légitimité de ROTMAN pour ce dossier semble évidente puisqu'il a vécu mai 68 en direct.

Ici, la BD se découpe en plusieurs parties : côté manifestants les revendications, les barricades érigées, les nuits d'émeutes, la contestation qui se radicalise, s’essouffle au moment même où déboulent les ouvriers enfin grévistes. Côté pouvoir, premières réactions de l’État (anecdote : lorsque de GAULLE apprend les premières manifestations, il est dans son bureau de l’Élysée avec un certain FERNANDEL !), premières mesures, divorce violent entre de GAULLE et POMPIDOU son pourtant premier ministre depuis 1962, dissension née à la suite de la demande de réouverture de la Sorbonne par POMPIDOU pour calmer les esprits, entraînant une radicalisation du gouvernement gaulliste.

Le récit s'articule également sur une fiction représentée par un couple de jeunes étudiants manifestants, une fiction qui par ailleurs n'apporte pas grand-chose à un documentaire déjà très bien fourni et précis. N'oublions pas que ROTMAN a dans son escarcelle la réalisation d'un remarquable reportage sur mai 68 (« 68 » en 2008 - déjà pour un anniversaire !).

Le déroulé jour par jour est très bien rendu, les événements marquants de ce mois de folie furieuse, les doutes au sommet de l’État, la panique généralisée. Et puis il y a les futurs ouvriers grévistes, pourtant hostiles au départ au mouvement étudiant, les syndicats et le Parti Communiste qui freinent des quatre fers, mais rapidement débordés par les manifestations spontanées, impuissants, sans aucun poids, alors que politiquement les alliés MITTERRAND et MENDES-FRANCE se tirent dans les pattes pour la direction et le prestige de la gauche.

La paralysie touche la province et, si une partie des manifestants et grévistes croit à la révolution, la majorité n'est là que pour faire avancer les réformes, il ne faudra pas compter sur tout le monde en cas de coup d’État. D'ailleurs la gauche radicale n'en veut pas de cet État, préfère rester du côté de la contestation (de « la chienlit » a dit de GAULLE).

Côté dessins, assez expurgés, couleurs passées, costards d'époque, pavés itou, bâtiments parisiens très soignés, visages beaucoup plus caricaturés.

Cet album, sans pourtant entrer dans les détails (manque de place), est un excellent support pour comprendre mai 68, et pour les plus jeunes de constater que tout a failli basculer ce mois-là, enfin « failli » est un bien grand mot, puisque cette BD montre aussi que le peuple, les syndicats, les partis de gauche n'étaient pas prêts pour récupérer un gouvernement pourtant en miettes, que la spontanéité du mouvement étudiant a pris de court les apparatchiks, les professionnels de la protestation qui s'avèrent vite inorganisés et revêches lorsque s'entrouvre une porte. On ne va pas refaire l'Histoire, c'est inutile et non constructif, mais en revanche il n'est pas inutile de se repencher dans ce que furent ces moments uniques de la France d’après guerre, mai 68 en fait diablement partie, et ROTMAN et VASSANT le font divinement vibrer.

(Warren Bismuth)

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