Recueil de quatre nouvelles de la fin de
vie de KAFKA. Écrites entre 1922 et 1924 elles mettent toutes en scène des
artistes. « Première souffrance » est de ces courtes nouvelles dont
vous vous délectez puis vous souvenez par ses images obsédantes : un
trapéziste qui ne vit que pour son trapèze, que SUR son trapèze au sein d’un
cirque, qui a la nausée dès qu’il foule le plancher des vaches, et ainsi entre
deux villes, lorsque la troupe voyage en train, se suspend dans le filet à
bagages du compartiment afin de s’apaiser. Un récit tragico-burlesque
détonnant.
Dans « Une petite femme », un
personnage public est détesté viscéralement par l’une de ses proches (ils ne
forment pas un couple), seulement cette dame a un besoin vital de la haine que
lui inspire l’artiste, elle ne peut vivre ni sans cette aversion ni sans cet
homme.
« Un artiste du jeûne » est particulièrement
frappante, nouvelle amorcée par un hommage au jeûneurs professionnels de jadis
que l’on venait voir, applaudir, encourager voire admirer dans des foires, elle
dévie vers un homme, sorte de professionnel du jeûne, embauché par une troupe
où, si son arrivée est tout d’abord vue d’un bon oeil par le public, va bientôt
lasser jusqu’à ce que l’artiste tombe dans l’oubli. Nouvelle poignante et
amenant un certain malaise.
Le recueil se termine avec cette « Joséphine
la cantatrice ou le peuple des souris », dernier écrit de KAFKA alors
qu’il est fortement atteint de tuberculose, magnifiquement rédigée en mars 1924,
éditée du vivant de l’auteur en avril, KAFKA décédant le 3 juin suivant. Cette
nouvelle met en scène une cantatrice qui « couine », qui
« siffle » et qui pourtant magnétise ce peuple des souris
prématurément vieilli et étiolé qui paraît entièrement dévoué à sa cause. C’est
pourtant le déclin de cette chanteuse que l’on va suivre, une plongée au fond
du gouffre, dans lequel est lui-même plongé KAFKA lorsqu’il l’écrit. Cette
nouvelle est d’ailleurs parfaitement dans le style de KAFKA, faisant figurer
des animaux au milieu d’humains jusqu’à ce que l’on finisse par se demander qui
est l’animal et qui est l’humain.
Un recueil qui permet de mieux cerner la
variété de tons d’écriture dans l’œuvre de KAFKA, qui aide à pénétrer dans
l’univers unique de cet auteur, et qui est parallèlement un fort moment
d’émotion puisque nous avons là une sélection des derniers écrits de l’auteur,
avec une dernière nouvelle en forme d’adieu. Bien moins connues que d’autres
nouvelles comme « La métamorphose », « La colonie pénitentiaire »
ou « Le verdict », elle sont pourtant un élément indissociable de
l’univers kafkaïen en même temps qu’un hommage poignant aux artistes, aux
saltimbanques de tous poils.
Il vous faudra sans doute piocher ici et
là pour lire ces quatre nouvelles, car si je vous les présente ainsi à la suite
dans cette chronique, c’est qu’elles clôturent un volumineux recueil de 1500
pages intitulé « Franz KAFKA : Récits, romans, journaux », dont
le contenu du sommaire laisse entendre qu’elles ont été publiées ensemble puisque
regroupées distinctement et à part dans le sommaire. Cependant, après plusieurs
recherches, il m’a été impossible de trouver trace de ce recueil des quatre
récits : chacune des nouvelles est bien sûr disponible, mais jamais elles ne
paraissent l’être ensemble sans aucune autre nouvelle ni aucun autre récit
supplémentaire (elles le sont toutefois dans la collection Folio classique sous
le nom « Un artiste de la faim » - merci à notre fidèle lecteur - mais
agrémentées d’autres nouvelles), d’où mon hésitation avant d’introduire cette
compilation de nouvelles possiblement fantôme. Dans ce cas, rien ne vous
empêche de faire votre propre montage et de créer votre propre recueil tiré à
un seul exemplaire, ça aurait franchement de la gueule, et je serais rassuré
quant à cette publication du jour, mon perfectionnisme m’amenant à me demander
si une chronique d’une compilation inexistante n’est pas un acte diabolique qui
devrait être sanctionné par la sainte justice.
Si vous décidez d’investir dans ce
« Récits, romans, journaux », sachez que l’on y retrouve les trois
romans de l’auteur (aucun ne fut terminé) ainsi que ses premiers textes
publiés, le recueil de nouvelles « Contemplations », le recueil de
récits « Un médecin de campagne » et pas mal de nouvelles de diverses
périodes. Un ouvrage absolument essentiel pour tout fondu de KAFKA qui se
respecte.
(Warren
Bismuth)
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