C’est un récit sous la forme d’un conte
merveilleux que Bakhtiar ALI nous offre en cette rentrée littéraire 2019. Un
récit dense et haut en couleur, dans lequel le lecteur peut entrer la tête la
première et qui ne se lâche pas facilement, mais auquel on devra être attentif
car le moindre détail compte.
Le personnage principal, c’est Mouzaffar,
officier supérieur des peshmergas (combattants kurdes), emprisonné durant 21
ans dans une prison totalement isolée, au milieu du désert. Il a été emprisonné
car défendait corps et âme son meilleur ami, aussi chef révolutionnaire kurde,
Yaqub Snawbar.
Mouzaffar a pendant 21 longues années comme
seul compagnon le bruit du sable dont l’auteur sait avec brio rendre audible ce
mystérieux chant aux oreilles du lecteur. Une occasion avortée lui sera donnée
d’échapper à sa geôle, espoir soudain, tout aussi vite arraché. Derrière cette
tentative, le fameux Yqub. D’ailleurs c’est lui qui recueille Mouzaffar à sa
sortie et quand ce dernier souhaite quitter le palais, Yaqub lui confie son
point de vue qui peut paraître étonnant de prime abord :
« Tu as de la chance… nous, nous
étions tous prisonniers, mais toi tu étais le plus chanceux d’entre nous…
Mouffazar Soubhdam, tu ne comprends pas comment cela m’a été pénible d’arriver
à redevenir un petit être humain au milieu d’une immense voûte céleste…
Mouffazar Soubhdam, apprends-moi comment faire pour redevenir un petit être
humain, apprends-moi comment retourner à ma source ».
Le roman est à contre-courant de notre
manière très occidentale de penser et de croire, c’est précisément ce qui
ressort de cet ouvrage. Hymne à la langueur, on passe et on repasse les mêmes
idées, énoncées de manières différentes afin d’amener le lecteur à penser
autrement les différentes étapes de la vie. On finit irrémédiablement par
adopter la position de Yaqub qui conseille à son ami de rester chez lui, de ne
pas partir à l’aventure. Car ce qui chatouille Mouffazar, c’est son fils, ce
fils âgé de quelques jours au moment de son incarcération, de sa femme morte en
couches, et dont il ne sait rien, hormis le nom, Saryas Soubhdam. Forcément, le
lecteur s’en doute, Yaqub va céder à son besoin de comprendre ce qu’est devenu
son fils et va se mettre en quête de la chose la plus importante de sa vie,
celle qui va configurer à jamais son destin.
En parallèle de l’histoire de Mouffazar et
de sa libération, nous découvrons Mohammad Delchoucha et le lien ne va pas
s’établir tout de suite. Cet homme et son cœur de verre ne seront pas
immédiatement liés explicitement au héros du récit, les histoires vont se
développer en parallèle, jusqu’à ce que celle de Delchoucha vienne rejoindre le
présent de Mouffazar par la clé de voûte du roman : Saryas et le dernier
grenadier du monde. Cet arbre, on nous en explique les origines relativement
tardivement dans le roman, page 214, et ses origines remontent à l’amour d’un
père pour son fils.
Vous l’aurez compris, dans cet ouvrage tout
est lié, voire inextricablement emmêlé et la trame ne se laisse pas voir
immédiatement. « Le Dernier
grenadier du monde » est un livre auquel il faut s’accrocher mais
qui se laisse accrocher assez facilement.
Un livre et un récit qui se livrent tout
doucement, qu’il faut prendre le temps de déguster, comme une grenade que l’on
épluche. Chez Métailié, disponible depuis le 29 août 2019.
(Emilia Sancti)
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