Une
histoire de pommés. Une courte pièce de théâtre mettant en scène quatre
personnages, deux femmes et deux hommes, qui vont cueillir des pommes, des
reinettes dorées plus précisément. Tout simplement. Seulement les difficultés
se succèdent : quelques pommes abîmées, une abeille qui pique, une cagette
qui casse, des clous qui se tordent, une équipe peu adroite, et ce qui
s’annonçait comme un moment de détente en plein air tourne au cauchemar.
Chaque
phrase du dialogue est brève, les échanges s’enchaînent à un rythme soutenu,
les protagonistes ne laissant que peu de blancs, de silences. Pièce à la fois
moderne mais sur des bases classiques (elle est présentée comme une sorte
d’écho à « la cerisaie » de TCHEKHOV), elle est énergique, d’un
humour grinçant servi par un comique de répétition (« C’est rigolo ! »).
Mais
attention derrière l’humour de façade se cache une tragédie, puisque les
événements vont rapidement prendre une tournure très différente que celle
escomptée : les pommes pourries vont se multiplier, se mélanger aux pommes
saines, les cueilleurs en goguette vont désirer glaner toujours plus, par des
techniques de plus en plus violentes pour le pauvre arbre. À la fin des fins,
ils auront épuisé toutes les pommes disponibles, mais aussi cassé, détruit,
amoindri, appauvri les pommiers. Et toutes les pommes saines vont se retrouvées
meurtries un par une, ne devenant plus comestibles ni vendables.
Une
pièce pouvant être perçue comme une allégorie du monde actuel : le désir de
posséder toujours plus, toujours plus vite, avec de moins en moins de
scrupules, employant des moyens de plus en plus radicaux sans se soucier des
conséquences, immédiates ou non. Ici, en quelques minutes, une simple
cueillette d’innocentes pommes va virer au carnage sur des arbres, avec un
quatuor ne se posant aucune question, comme si l’instinct malfaisant prenait
soudain le contrôle de chaque individu, annihilant toute tentative de
discernement.
Pavel
PRIAJKO est un metteur en scène biélorussien, il a écrit la présente pièce en
russe, elle est traduite par Larissa GUILLEMET et Virginie SYMANIEC. M’est avis
que si vous prenez le texte et remplacer le mot « pomme » par toute
autre denrée périssable et non infinie, vous obtiendrez la même chute, reste à
en connaître sa vitesse. Les éditions L’Espace d’un instant frappent encore par
leur originalité et leur pêche intensive aux textes produits dans des pays qui
nous parlent peu, à nous français, occidentaux, sevrés de culture orientale, textes
qui sont pourtant écrits quelque part en Europe, à nos portes en somme. Celui-ci
vient de paraître, il est à coup sûr à diffuser le pus largement possible.
Profitez-en pour vous attarder sur le catalogue des éditions L’Espace d’un
instant qui recèle quelques pépites théâtrales et dépaysantes produites dans
des pays quelque peu obscurs de ce côté-ci de l’Europe.
(Warren Bismuth)
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