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dimanche 22 septembre 2019

Pavel PRIAJKO « La récolte »


Une histoire de pommés. Une courte pièce de théâtre mettant en scène quatre personnages, deux femmes et deux hommes, qui vont cueillir des pommes, des reinettes dorées plus précisément. Tout simplement. Seulement les difficultés se succèdent : quelques pommes abîmées, une abeille qui pique, une cagette qui casse, des clous qui se tordent, une équipe peu adroite, et ce qui s’annonçait comme un moment de détente en plein air tourne au cauchemar.

Chaque phrase du dialogue est brève, les échanges s’enchaînent à un rythme soutenu, les protagonistes ne laissant que peu de blancs, de silences. Pièce à la fois moderne mais sur des bases classiques (elle est présentée comme une sorte d’écho à « la cerisaie » de TCHEKHOV), elle est énergique, d’un humour grinçant servi par un comique de répétition (« C’est rigolo ! »).

Mais attention derrière l’humour de façade se cache une tragédie, puisque les événements vont rapidement prendre une tournure très différente que celle escomptée : les pommes pourries vont se multiplier, se mélanger aux pommes saines, les cueilleurs en goguette vont désirer glaner toujours plus, par des techniques de plus en plus violentes pour le pauvre arbre. À la fin des fins, ils auront épuisé toutes les pommes disponibles, mais aussi cassé, détruit, amoindri, appauvri les pommiers. Et toutes les pommes saines vont se retrouvées meurtries un par une, ne devenant plus comestibles ni vendables.

Une pièce pouvant être perçue comme une allégorie du monde actuel : le désir de posséder toujours plus, toujours plus vite, avec de moins en moins de scrupules, employant des moyens de plus en plus radicaux sans se soucier des conséquences, immédiates ou non. Ici, en quelques minutes, une simple cueillette d’innocentes pommes va virer au carnage sur des arbres, avec un quatuor ne se posant aucune question, comme si l’instinct malfaisant prenait soudain le contrôle de chaque individu, annihilant toute tentative de discernement.

Pavel PRIAJKO est un metteur en scène biélorussien, il a écrit la présente pièce en russe, elle est traduite par Larissa GUILLEMET et Virginie SYMANIEC. M’est avis que si vous prenez le texte et remplacer le mot « pomme » par toute autre denrée périssable et non infinie, vous obtiendrez la même chute, reste à en connaître sa vitesse. Les éditions L’Espace d’un instant frappent encore par leur originalité et leur pêche intensive aux textes produits dans des pays qui nous parlent peu, à nous français, occidentaux, sevrés de culture orientale, textes qui sont pourtant écrits quelque part en Europe, à nos portes en somme. Celui-ci vient de paraître, il est à coup sûr à diffuser le pus largement possible. Profitez-en pour vous attarder sur le catalogue des éditions L’Espace d’un instant qui recèle quelques pépites théâtrales et dépaysantes produites dans des pays quelque peu obscurs de ce côté-ci de l’Europe.


(Warren Bismuth)

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