Julia DECK n’en est pas à son coup d’essai.
Les éditions de Minuit nous gratifient pour cette rentrée littéraire d’un roman
particulièrement truculent, drôle, cynique à souhait.
C’est un peu l’histoire de Monsieur et
Madame Toutlemonde : l’accession à la propriété. Au départ il y a un
couple. Le mari, Charles Caradec, dont on comprend rapidement qu’il souffre
d’une pathologie psychiatrique. On soupçonne la dépression, mais rien dans le
roman ne sera vraiment explicite à ce sujet. Il est néanmoins suivi depuis de
longues années (27 tout de même !) par Serrier, le psychiatre, qui lui
permet de tester de temps en temps de nouvelles molécules entraînant le plus
fréquemment des tunnels ensommeillés sur lesquels sa femme veille, parfois un
peu inquiète. Elle, Eva Caradec, travaille dans l’urbanisme, elle travaille
« tous les jours et tous les soirs »
comme elle le déclare elle-même. Elle vit au rythme de ses rendez-vous
d’affaire, de sa relation opaque avec Bogaert, qui semble être à la fois le
mentor, le collègue de travail mais aussi le supérieur hiérarchique, et qui
décide selon ses propres règles des rencontres avec Eva.
D’ailleurs, c’est du point de vue d’Eva que
ce roman se construit. S’éloigner du bruit, de la pollution, libérer les
plantes de leurs pots devenus trop petits, retourner à la nature : il est
temps de quitter Paris pour la banlieue, acheter ce petit pavillon tant
convoité au milieu d’un quartier fraîchement construit, desservi uniquement par
le RER. Bousculer son train de vie, et accéder à la propriété privée comme on
accède à son bonheur, sorte d’aboutissement de vie ultime. Aussitôt dit
aussitôt fait, les voilà fraîchement débarqués de leur centre-ville, avec leurs
cartons, leur nouvel électroménager et leurs soucis de propriétaires terriens.
Le quartier est un lotissement résidentiel, d’apparence assez aisé et occupé
par une majorité de CSP+. Maisonnettes, jardinets, pelouses soigneusement
entretenues et fleurs épanouies, tel est leur nouvel environnement. Environnement
qui se compose aussi des voisins, les Benani, les Lemoine, les Durand-Dubreuil
(les « dudu ») et… les Lecoq. Arnaud et Annabelle, accompagnés par
leur bébé et leur chat, le gros rouquin. Annabelle et ses mini shorts,
Annabelle et ses œillades, son caractère. Et son mari n’est pas en reste.
C’est sur ce gros rouquin que débute le
roman, incipit décalé qui nous permet immédiatement de prendre conscience que
dans cette histoire, tout n’ira pas pour le mieux. Querelles de voisinage,
coucheries, jalousie larvée, on se rend rapidement compte que l’on est plus
espionné à la campagne qu’à la ville. Adieu l’anonymat parisien, ici tout le
monde se connaît (ou croit se connaître) trop bien. Les conversations enflent,
les langues se délient, les clans se forment sous les yeux d’un lecteur
complètement emporté par le tumulte des événements qui ont la particularité
d’être anodins (au moins au début). Julia DECK nous absorbe totalement dans son
récit relativement court (173 pages) où tout s’enchaîne vers une issue
inéluctable tant on la sent arriver dès les premières pages. C’est infiniment
drôle et nous renvoie à nos propres désirs, à notre conception du bonheur et
plus trivialement à nos propres relations de voisinage. Un quartier, un
lotissement est un microcosme où se retrouvent tous les échantillons de
l’humanité. C’est en ce sens que l’on ne peut s’empêcher de sourire, à chaque
page, et d’aller au bout, d’une traite, de ce roman qui parle de nous et des
autres.
Assurément une valeur sûre, Julia DECK nous
régale encore, chez Minuit bien évidemment. Vivement le prochain.
(Emilia Sancti)
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