Il est de ces poésies devant lesquelles on
ne pense pas avoir toutes les données, toutes les clés pour ouvrir toutes les
portes (c’est d’ailleurs pourquoi je ne présente qu’assez peu de poésie que je
lis, la peur de tomber à côté, d’être hors sujet). Et pourtant nous nous
laissons bercés par le rythme des mots, leur puissance. C’est le cas pour ce
texte de la jeune Manon THIÉRY.
Dans une
mise en page aérée, quelques lignes à chaque page, la poétesse déroule lentement
et délicatement sa pensée, de manière organisée. Ici ni majuscules ni
ponctuation, chacun des mots doivent être au même niveau dans un jeu de pureté
d’une langue épurée, ramassée, essorée.
Le fond
est tragique, de ces amours non dits qui disparaissent. Quand ?
Comment ? Aucun indice ne semble nous guider, dans un espoir mis entre
parenthèses, dans des souvenirs douloureux qui paradoxalement font avancer la
narratrice. Au centre du poème, la bouche, la langue, d’où sortent les mots,
les maux passés, seule arme pour lutter contre la souffrance. Tentative de
transition, de transmission peut-être. Et la neige, omniprésente, comme
virginale, celle qui peut tout effacer. Un souvenir d’accouchement. Peut-être…
Poésie
de la mélancolie et du souvenir, elle est aussi celle d’un nouveau départ qui
tente de s’insuffler. C’est ici la fragilité de l’existence qui est en première
ligne, son poids, énorme, dans une douleur incontrôlable, celle de l’absence.
Et ce titre, prodigieux, avec ce « réflecteur », où la neige peut
jouer plusieurs rôles, celui de la réflexion, mais aussi celui du reflet, du
miroir, « l’autre côté du miroir /
celui qui ne montre rien ».
Dès ce premier livre, et en un peu plus de 60 pages très aérées, Manon THIÉRY donne le la, dans une poésie musicale, construite et mélodieuse, envoûtante jusqu’à cette dernière ligne : « je ne reconnais pas mon sommeil ». Ce titre est paru fin 2020 chez Cheyne éditeur, dans la collection Prix de la vocation qui met en lumière dans une somptueuse couverture bleue de jeunes auteurs poètes jamais publiés. Cette collection est parfaite si vous souhaitez découvrir une nouvelle plume, si vous désirez partir loin des sentiers balisés. Allez voir le catalogue, il est plus que tentant. D’autant qu’un livre Cheyne est toujours une immense émotion visuelle, avec cet esthétisme fait maison et particulièrement soigné, l’un des géants de la poésie française qui imprime lui-même ses livres, et a su développer des collections originales, riches et cohérentes. Respect total.
https://www.cheyne-editeur.com/
(Warren
Bismuth)
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