Le fait est assez singulier pour être souligné dès le début de cette chronique : les éditions L’espace d’un Instant, spécialisées dans le théâtre international, notamment balkanique, depuis plus de 20 ans, avec leur presque parution mensuelle, proposent ici… un roman ! Ou plutôt un récit de vie « déguisé » en roman. L’éditeur, ayant surtout publié jusqu’ici des pièces de langues étrangères et parfois rares, présente cette fois-ci un texte non théâtral et en français.
Victoria YAKUBOVA est née en Ouzbékistan, dans la capitale Tachkent. Dans ce roman-récit de 2022, elle raconte son parcours : famille exilée tout d’abord en Israël en 1990 (l’autrice a alors 13 ans) en pleine pérestroïka, afin de retrouver ses racines juives mais aussi quelques membres de la famille. Fuite du pays natal, extinction des repères, changement de scolarité.
Victoria YAKUBOVA explique ce déracinement, à son âge, radical dans sa vie, quittant une terre qu’alors elle ne pense pas revoir (elle la reverra pourtant, mais 25 ans plus tard, et dans des conditions particulières que je vous laisse découvrir). Elle ne quitte pas que l’U.R.S.S. pas encore tout à fait redevenue la Russie (et à laquelle l’Ouzbékistan appartient toujours lors de ce départ), mais plus globalement elle abandonne POUCHKINE, POUCHKINE le poète qui fait œuvre de véritable figure tutélaire dans ce récit, un POUCHKINE comme embusqué, qui ressurgit tel un diable de sa boîte lorsque l’on ne s’y attend pas.
C’est aussi la maison qu’il faut quitter, elle appartenait à la famille depuis plus de deux siècles. Et une valise de 30 kilos maximum pour chaque personne. Une vie entière dans 30 kilos. « Nous sommes les « décabristes russes ». Incroyable, il suffisait d’arriver dans le pays des Juifs pour devenir russes et surtout pour arrêter d’être juifs ». Et sur le sol d’Israël, on ne trouve pas ce que l’on cherchait car, si certes il y a l’abondance, on y côtoie surtout la haine et la guerre. Nouvel exil, France.
Dans des déplacements incessants, Victoria YAKUBOVA nous transporte dans ses valises, évoque les mentalités des pays hôtes. Des va-et-vient qui donnent le tournis. Car après la France, retour en Israël, l’autrice nous en explique les causes. Il ne serait pas judicieux de les rapporter ici, elles se doivent d’être découvertes sous sa plume sensible.
Dans une écriture simple aux accents russes, emplie d’oralité et d’émotion, l’autrice nous guide dans une existence de refugiée perpétuelle. Les amours qui se terminent en queue de poisson, les lois dures pour les étrangers, le saut d’obstacles permanent pour se faire une place dans une société qui a du mal à vous accepter, c’est un peu choisir entre les bombardements et l’hostilité. Récit passionné, presque sur le vif, d’une femme marquée par son parcours et celui de sa famille, 100 pages d’exils, de renoncements et de recommencements. La couverture, sobre, est d’un esthétisme parfait. Ce petit livre vient juste de paraître, agrémenté par la préface en forme de brève biographie, signée Volker SCHLÖNDORFF. Le pari du récit était risqué et audacieux pour ces éditions, l’essai est parfaitement transformé.
https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation
(Warren Bismuth)
Merci beaucoup, je suis très très touchée de ce que vous écrivez.. 🙏♥️
RépondreSupprimerOui c'est un très beau texte, un ovni, une pépite. Impossible de le ranger derrière une étiquette, il faut juste se laisser porter par le plaisir de la découverte. Ne vous en privez pas, moi j'ai adoré.
RépondreSupprimerMerci♥️♥️♥️♥️🙏🙏🙏🙏
SupprimerAvec grand plaisir !
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