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dimanche 2 avril 2023

Doug PEACOCK « itinéraire d’un éco-guerrier »

 


Après « Une guerre dans la tête » (rebaptisé « Marcher vers l’horizon » pour son édition de poche l’an dernier) en 2008 et « Mes années grizzly » (poche) en 2012, Gallmeister publie un troisième volume de Doug PEACOCK (né en 1942), figure tutélaire de la défense de la Nature Sauvage aux U.S.A.

Si le début de ce livre documentaire en partie en forme de récit de vie semble être une redite des deux volumes précédents (son amitié insubmersible avec Edward ABBEY, les observations des grizzlys notamment), cette suite de longues chroniques de vie se défait tout à coup de ces sujets pour nous guider vers d’autres, plus actuels, en relation avec le dérèglement climatique.

Doug PEACOCK ne noircit pas des feuilles au hasard, l’homme s’est somme toute peu exprimé jusque là, ce livre vaut à la fois pour la rareté des propos de PEACOCK que bien sûr pour la puissance et l’acuité du discours. PEACOCK a toute sa vie combattu pour l’écologie telle qu’il l’entend, avec rage et sur le terrain, c’est donc un vieux briscard de la lutte qui s’exprime en ces pages.

Ces pages, parlons-en. L’auteur revient dans ces neuf textes sur les figures états-uniennes importantes et influentes de la défense de la nature. Dans son projecteur, il se remémore les massacres passés des bisons, ceux plus récents des ours et grizzlys, écrit avec émotion sur les derniers grizzlys du Mexique, sur les mouflons, sur la faune sauvage majestueuse. Bien sûr, il ne peut pas passer sous silence son amitié avec Edward ABBEY, convoque régulièrement encore son souvenir, sans oublier d’évoquer encore et toujours la guerre du Vietnam qui l’a marqué à vie. De brèves apparitions, fort furtives, de son ami Jim HARRISON, se fondent, au milieu du décor.

Et quel décor ! Si PEACOCK est intarissable sur les paysages déserts des canyons du sud-ouest états-unien près de la frontière du Mexique, il dépeint d’autres régions, d’autres pays, d’autres moeurs, notamment cette longue et passionnante chronique sur un voyage en Sibérie (signifiant « Le pays endormi ») juste après la chute de l’U.R.S.S. Il en profite pour tracer un portrait fort original des ours polaires menacés, lui qui fut embaucher pour les observer, eu égard à sa connaissance très pointue de l’ours brun et du grizzly.

En Russie, il observe les différentes races de tigres, en retient des enseignements et en profite pour mener sa réflexion par des images imparables : « En 1936, on estimait qu’il ne restait qu’environ cinquante tigres de l’Amour – trop peu, pensaient de nombreux experts, pour garantir la diversité génétique nécessaire pour une survie à long terme. Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, alors que les braconniers potentiels étaient occupés à combattre les Allemands, ce fin félin revint en force. Au milieu des années 1980, on estimait à deux cent cinquante le nombre de spécimens adultes vivant à l’état sauvage ».

PEACOCK est un vieil anar, contestataire et engagé. Aussi il rappelle à toutes fins utiles le danger que représente une organisation comme la N.R.A. (National Rifle Association) par son influence et son pouvoir dans un pays comme les Etats-Unis. Plus curieusement, PEACOCK se dresse contre le masculinisme, contre la virilité à tout prix, contre l’homme dominant. L’occasion aussi de rappeler que pour la protection de la nature, il s’appuie lui-même sur les peuples indigènes, leurs rites, en harmonie avec la nature.

Doug nous présente un autre Doug, son ami (décédé depuis), un défenseur acharné de l’environnement qui a le privilège d’être riche. Ces deniers, il les utilise dans l’achat de forêts un peu partout dans le monde afin de les protéger.

PEACOCK est très inquiet pour l’avenir, en tant que professionnel il a pu accumulé un certain nombre de chiffres depuis des décennies, et l’heure n’est plus à la rigolade : le réchauffement climatique s’accentue fortement ces dernières années, le combat semble perdu. Et pourtant, inlassablement, l’écologiste explique le monde sauvage, le peint avec des mots qui nous parlent.  Mais il n’oublie pas le petit garçon qu’il a été, il y a pourtant si longtemps. Aujourd’hui, au crépuscule de sa vie, il reprend des morceaux de flèches, des bijoux, qu’il avait déterrés lors des jeux de sa jeunesse. Non seulement il se rappelle où il les a alors pris, mais il les a gardés. Pour boucler la boucle, il décide de les rendre à la terre, à l’endroit précis où il les avait subtilisés. Séquence émotion.

Ce livre est un tout, il se déguste par petits bouts, même dans le désordre cela fonctionnerait. Et il renferme un cadeau, non des moindres : 80 photographies, souvent sélectionnés à partir de la collection personnelle de Doug PEACOCK, des photos représentant la nature majestueuse, les animaux sauvages qui ne le sont pas moins. On y voit les amis de Doug, des scènes du quotidien en pleine montagne, mais aussi des trophées, ceux recueillis par les ennemis jurés de PEACOCK : les chasseurs qui tuent pour la gloire, que ce soit pour une peau ou pour le simple plaisir sordide de poser aux côtés de l’animal abattu.

« Itinéraire d’un éco-guerrier », s’il montre pourtant peu les actions directes de la joyeuse bande, est fascinant par ses scènes d’une vie sauvage que souvent nous ignorons. Les réflexions de PEACOCK sont toujours judicieuses et ouvrent (rouvrent ?) le débat. Les gens de cet acabit son rares, il faut, eux aussi, les préserver, les lire et les diffuser, c’est le moins que l’on puisse faire. « Itinéraire d’un éco-guerrier » vient de paraître chez Gallmeister, c’est à coup sûr un livre événement.

https://gallmeister.fr/

 (Warren Bismuth)

2 commentaires:

  1. J'ai lu Abbey mais pas Peacock. A l'évidence, il faut que je répare ça...

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    1. Des Livres Rances3 avril 2023 à 01:11

      Il existe un certain nombre de passerelles entre ces deux auteurs. Peacock est d'ailleurs dépeint sous les traits de George Hayduke, le "héros" de Abbey.

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