Ce bouquin de 60 pages, plus petit encore qu’un livre de poche, s’emporte partout, y compris dans une poche-revolver. Deux textes de Panaït ISTRATI sont à l’honneur : « Pour avoir aimé la terre » de 1930, paru le 20 février de cette année-là dans Les Nouvelles Littéraires, et « Autobiographie », publié dans Europe le 15 avril 1923.
Le premier est sous-titré « Réflexions en marge de mon refoulement d’Egypte », car le gars Panaït a en effet été expulsé de pas mal de pays durant sa tumultueuse vie vagabonde de traîne-misère sublime. Dans ce texte bref, tout en rendant un hommage fort appuyé à ses frères les humbles, les sans-grade, il règle quelques comptes avec la société, notamment celle des arts : « Aussi, amour et haine, inhumainement accouplés dans mon trop jeune cœur, me firent-ils faire une maladie, à force de n’y rien comprendre. Puis j’ai compris. Mais si je commence à vous expliquer cela, vous direz que je suis un homme désagréable. On devient, paraît-il, désagréable, dès qu’on trempe sa plume dans le sang de sa révolte. Pour être sublime, l’art exige la lâcheté et l’égoïsme irréprochables, ou, tout au moins, demande-t-il à l’artiste de ne considérer la souffrance humaine que comme une matière à inspiration objective ». J’en vois certains qui pourraient y prendre de la graine…
Ce texte virulent est pourtant une révérence à la littérature, se fait fraternel en lançant cet appel à « La pensée généreuse » qu’ISTRATI défendit toute sa vie, lui qui crût à la bonté innée de l’humain, pervertie par la cruauté inculquée par d’autres. Puis lui revient l’image de sa propre mère, soumise au monde, et en conséquence défaitiste car privée de révolte.
L’image forte ressortant de ce splendide pamphlet est, une fois de plus chez ISTRATI, celle de la Liberté « Car le seul bien terrestre à l’existence duquel il faut savoir tout sacrifier : argent, gloire, santé, vie. Et même sa propre liberté. Car, phénomène curieux : quoique étant le bien le plus élémentaire, le plus simple, le plus naturel de tous ceux dont nous pouvons jouir sur la terre, la liberté en est le seul pour la conquête et la conservation duquel nous devons à tout instant être prêts à mourir où nous faire emprisonner ». Car chez ISTRATI, comme chez son ami Nikos KAZANTZAKI, la liberté n’a pas de prix.
Revenu d’Union Soviétique où l’amertume fut totale et les illusions évaporées, ISTRATI dénonce le système de l’U.R.S.S. (osant l’un des premiers parler de fascisme russe, ce qui lui en cuira), en profite pour condamner en seulement quelques mots bien trouvés l’attitude d’un écrivain comme GORKI envers le pouvoir, tout en attaquant frontalement toutes les dictatures. « Hommes qui aimez la terre, il ne vous reste plus qu’à vous faire enterrer vivants ! ». Contre toute attente, en fin de texte ISTRATI demande, implore presque, la nationalité française.
« Autobiographie » est un exercice de quelques pages sur le parcours de l’homme ISTRATI avant qu’il devienne écrivain, quelques souvenirs posés sur une jeunesse errante et chaotique qui ne nous le rend que plus proche et plus humain. Ce petit livre à découvrir est paru en 2015 aux éditions La part commune.
(Warren Bismuth)
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