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dimanche 23 juillet 2023

Laurent MAINDON « Terre Ciel Enfer »

 


Ce volume est le premier d’une saga en cours, celle de la famille Müller. Août 1961, Berlin. Premières pierres du futur Mur. Parallèlement, naissance d’Hans dans la famille Müller, comme un symbole. Le mur s’érige comme une improvisation générale, une frontière visible entre Allemagne et l’ouest et Allemagne de l’est, pour séparer deux territoires antagonistes dans leur politique, un pays déchiré. Au milieu, des familles. Qui ne comprennent pas tout de suite. Cetaines vivent à l’est du rideau, d’autres à l’ouest. Jusqu’ici il fut aisé de se rendre visite. Avec ce mur dressé, c’est toute une population qui doit réapprendre à vivre, avec de nouvelles règles. Les velléités de passer à l’ouest sont nombreuses au sein des habitants. Aussi il fallait trouver coûte que coûte une solution pour les en empêcher, ce sera ce mur.

Pour l’est de l’Allemagne, il devenait urgent de construire cette frontière. « La RDA ne peut se passer de son élite. Chirurgiens, universitaires, ingénieurs fuient en nombre le pays depuis trop de mois, réduisant à néant toute tentative durable de redressement du pays ». Les résidants sont pris de court et improvisent devant cette nouvelle barrière, alors que le pays est en pleine reconstruction suite aux plaies de la deuxième guerre mondiale.

Dans « Ciel Terre Enfer », un titre tout droit sorti du sol, celui que l’on s’attribue, celui sur lequel on trace à la craie les frontières de la marelle, ce jeu alors prisé par les enfants, ce sont deux familles qui s’affrontent malgré leurs liens intrinsèques indéfectibles. Quant au décor, c’est l’Allemagne des années 60, les Allemagnes plutôt. D’un côté la fidélité au communisme, de l’autre la foi en une société capitaliste toute puissante. Au centre, le mur. Et de chaque côté de celui-ci, des façons de vivre différentes, des modes de consommation aussi.

Dans cet univers chamboulé, Laurent MAINDON a choisi de suivre la famille Müller, avec ses séquelles, ses cicatrices. Le petit dernier vient de naître, c’est sa date anniversaire qui va rythmer le récit jusqu’en 1970, il a alors 9 ans. Son père Manfred, partisan d’un monde libéral et capitaliste, s’enivre et semble ne pas pouvoir assumer son rôle de chef de famille, tandis que sa femme Christa tombe peu à peu dans la dépression, sa famille à elle, communiste de souche, s’éloignant des excès, y compris verbaux, de Manfred. Eva, qui grandit jusqu’à devenir adolescente, la grande sœur de Hans prend son rôle à cœur et prend soin de son frère. En fond, la société allemande, déchirée, corrompue. « Survivre n’a jamais été une affaire d’honnêteté ». Tapis bien en retrait, les secrets de la deuxième guerre mondiale, les camps…

Des scènes fortes viennent donner vie à ce récit, notamment celle du petit Hans franchissant une frontière de barbelés en l’absence de miradors, encouragé par Eva. « Terre Ciel Enfer » est une traversée dans le Berlin des prémisses du mur, dans une ville où le lien entre communisme et capitalisme est consommé, entraînant une exacerbation des sentiments et des passions pour un régime politique. C’est aussi le début d’une consommation sociétale sans limites : « Un jour viendra où l’homme étouffera sous sa vanité technologique et se suicidera à son insu ».

Ce premier tome se clôt sur un drame profond, en même temps que sur l’ouverture de la frontière entre est et ouest à Berlin, une première depuis l’érection du mur en 1961, nous sommes alors à la Pâques de 1972. Tous les espoirs sont peut-être à nouveau permis…

Ce premier volet est une belle réussite, l’auteur réussissant à nous tenir en haleine de bout en bout par la crédibilité de ses personnages, mais aussi grâce au contexte tout à fait singulier : une ville coupée en deux. Littéralement, concrètement. Ce tome vient de paraître aux éditions Le ver à Soie, il possède tous les ingrédients d’une série qui s’apprécie, entre ses protagonistes représentant la société Allemande, les secrets des aïeuls, un moment historique fort et des décors qui jouent un rôle actif, sans oublier une intrigue solide. Je n’oublie ce très bel esthétisme de l’objet grâce à son éditrice qui y met un soin particulier. La famille Müller n’a pas fini de faire parler d’elle.

https://www.leverasoie.com/

(Warren Bismuth)

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