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mercredi 12 juillet 2023

Yves ÉLIE « La vallée de l’abeille noire »

 


Je découvre la collection Mondes Sauvages de chez Actes sud. Et c’est une révélation. Un choc. Je me souviens de mon enthousiasme lors de ma première expérience avec la collection « Nature Writing » de chez Gallmeister, un moment déclencheur de toute une suite. C’est un peu ce que j’ai ressenti ici, et pour les mêmes raisons. La collection est ancrée sur la nature et le rapport humain qui en découle. Le fond est certes plus scientifique que chez Nature Writing, mais le tout nous replace au centre de la nature, faisant de nous non plus des dominants mais de simples participants, humbles.

Ce dépoussiérage s’est opéré avec ce documentaire sur des abeilles noires au fin fond des Cévennes. Mais tout d’abord un peu d’Histoire, l’ancienne, celle de l’ère glaciaire, un exposé sur l’adaptation obligée des abeilles aux bouleversements du climat depuis la nuit des temps. Puis focalisation sur la ruche-tronc, son organisation à l’intérieur, la vie de cette communauté d’insectes.

Yves ÉLIE est un sacré spécialiste des abeilles, il a d’ailleurs réalisé quelques films documentaires et créé l’association L’arbre aux abeilles. J’avais peur d’être perdu dans ses explications scientifiques. Mais non, l’auteur reste dans une démarche pédagogique, technique certes, mais toujours accessible pour les novices. Et c’est passionnant. Car le discours est ample, il ne s’arrête pas à la ruche à un moment T, il part de loin, contextualise, pour mieux se recentrer sur les ruches-troncs cévenoles et leur fabrication de miel.

Toutes les étapes de la vie d’une abeille sont retracées : « Cette attraction florale exercée sur les abeilles, ce parfum de la ruche dit aussi la force surréaliste des butineuses minuscules, capables de transporter en vol des charges de nectar ou de pollen équivalentes à la moitié de leur propre poids depuis des fleurs éloignées parfois de 5 à 6 kilomètres de leur colonie, et ce malgré le vent qui souffle en sens contraire et les malmène d’un côté ou de l’autre ».

L’abeille comporte de nombreuses espèces, certaines plus robustes que d’autres, plus pures, moins « arrangées » par l’homme. Parmi elles, l’abeille noire, l’héroïne du présent livre. Certaines abeilles disparaissent par pollution génétique. Présentation des actrices de la ruche. Et l’occasion de faire la rencontre avec l’abeille citerne, celle qui amène l’eau, en un ballet gracieux. On ne cesse d’en apprendre de belles tout au long du récit. « Les abeilles n’existent pas individuellement. Une abeille isolée de sa colonie meurt rapidement, même en présence de nourriture, d’eau et d’une température idéale. Les abeilles ne sont pas un individu comme nous l’imaginons, nous êtres humains. Chez elles, l’être n’est pas l’abeille mais la population ».

Les ruches peuvent être squattées, que ce soit par des fourmis ou de mystérieux scarabées. Ou d’autres encore. Et que se passe-t-il l’hiver dans la communauté ? Comment les abeilles s’organisent ? Vous le saurez en lisant cet essai qui s’attarde aussi sur les conséquences du travail de l’abeille, dressant notamment un historique de l’hydromel. Puis revient sur les résultats catastrophiques de l’activité humaine sur celle des abeilles. « Quel que soit le choix que nous opérons, force est de constater qu’en Europe, les processus de fabrication de la nourriture de masse, notamment les monocultures, ont dégradé les ressources vitales des pollinisateurs sauvages. La malbouffe humaine induit la malbouffe des pollinisateurs ».

Tout au long du texte, on apprend, on s’arrête, on réfléchit ; Sur l’importation de l’abeille caucasienne par exemple, sur la présence du frelon asiatique, sur le fait que jadis, l’abeille fut classée comme animal domestique, ou encore sur la nécessité de militer pour un avenir meilleur pour les abeilles, qui se répercutera de manière positive sur notre propre avenir.

Non seulement ce récit est abordable, mais il est salutaire, car empli d’espoir. Malgré tout. L’auteur convoque Noé et son arche avant de faire place à la postface signée Lionel GARNERY, spécialiste de la génétique de l’abeille. En toute fin de volume : La déclaration universelle des droits de l’abeille.

Ce livre de près de 200 pages est aussi un travail de conscientisation du public. Yves ÉLIE explique la nécessité de se réunir en associations, en groupes afin d’obtenir plus de poids sur la scène locale comme nationale pour protéger la nature sauvage, et l’abeille noire en particulier. Les diffamations sont nombreuses, mais il faut continuer, c’est pour la nature que le combat se doit d’être livré. Le texte est balisé par des illustrations magnifiques de Camille LAURENT. À noter que la collection Mondes Sauvages est soutenue par l’association indépendante ASPAS (Association pour la Protection des Animaux Sauvages) qui fournit un travail de protection d’envergure sur le terrain. C’est par le biais de cette association que j’ai décidé d’ouvrir enfin un livre de Mondes Sauvages, grand bien m’en a pris, une sorte de cycle étant d’ores et déjà en cours dans mes lectures. « La vallée de l’abeille noire » est paru en 2021. Vous l’aurez compris, il n’est pas nécessaire de posséder de connaissances en la matière pour lire ce documentaire palpitant.

 (Warren Bismuth)

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