Depuis plusieurs décennies, Erri DE LUCA, ancien ouvrier et toujours militant de causes nobles, écrit, conte, raconte. Il est un géant du paysage littéraire mondial. Ici la collection Quarto Gallimard lui rend hommage de la plus belle des manières, en publiant une sélection de ses œuvres sur plus de 1000 pages, dont certaines sont toujours inédites en France. Toutes les traductions d’Erri DE LUCA ont été signées Danièle VALIN, c’est également le cas ici. Nous nous attarderons plus précisément sur les textes inédits, il sont LE cadeau de cette édition soignée.
En préambule et comme à l’accoutumée dans cette collection, une biographie agrémentée de nombreuses photographies (elles sont ici plus de 60) souvent privées. L’originalité de cette biographie est qu’elle n’est vue que par le truchement d’écrits de l’auteur, ce qui lui donne une relative intimité.
Parmi les textes inédits, nous découvrons « Morsure de nouvelle lune », une pièce de théâtre de 2005 qui raconte un bombardement sur Naples en 1943, et ce personnage surprenant, un bègue possédant un canari le prévenant des attaques aériennes. Il est aussi question de l’arrestation de MUSSOLINI alors qu’un général pro-allemand se joint à la révolte du peuple contre les nazis. Ce texte politique, drôle, alliant magistralement tragique et légèreté fut initialement écrit en napolitain.
« Napolide » de 2006 est une suite de textes courts rendant hommage à Naples, la ville natale d’Erri DE LUCA, par ailleurs atteignant la plus forte densité d’êtres en Europe. Pourquoi ce titre ? Le pas encore auteur a quitté Naples en 1968 alors qu’il n’avait que 18 ans. Comme un apatride, mais de sa ville pourtant aimée, il s’est donc considéré comme « napolide ». Dans ces textes, il parle de théâtre, du Vésuve bien sûr, ce gardien du peuple. Ses textes dépeignent la rue par l’intermédiaire du football ou encore de la pêche, un DE LUCA tendre, pas nostalgique mais en tout cas marqué par son enfance. Dans ces lignes, on peut avoir le sentiment de lire un Albert CAMUS italien loin des siens, de par les images fortes et les réflexions profondes.
« La double vie des nombres » de 2012 est une autre pièce de théâtre. Un 31 décembre, un frère et une sœur, lui écrivain de théâtre. Des explosions se font entendre. « Nous ne ferons pas de fête, nous passerons la soirée à bavarder jusqu’à minuit. C’est la ville qui fait la fête. Elle restera de l’autre côté de la fenêtre ». Dans un deuxième tableau, les protagonistes se parlent à distance alors que dans la troisième, à nouveau réunis, les spectres de leur père et mère défunts apparaissent sur scène, faisant revivre les tombolas de Saint Sylvestre en Italie, l’occasion pour l’auteur de déterrer ses propres souvenirs, ajoutant un humour de petit enfant émerveillé.
« Le tort du soldat », s’il est un texte très connu de l’auteur, d’abord paru en nouvelle, puis tout récemment en version réécrite dans le recueil « Grandeur nature » (que je n’ai pas pu m’empêcher de vous présenter), il se mue ici en pièce de théâtre inédite de 2021. Une fille et son père, lui ancien nazi non repenti, elle honteuse de cette filiation. Entre les deux, David (en fait un double de DE LUCA), témoin de leurs échanges, qui intervient quand il le juge propice. Un texte d’une grande force. Je pense qu’il serait instructif de comparer les trois versions, peut-être de les regrouper un jour dans un même volume.
Le dernier texte inédit est une courte chronique de 1999 à propos de la guerre en ex-Yougoslavie, dans un Belgrade méconnaissable que DE LUCA a arpenté au plus fort de la guerre.
Les autres textes de ce copieux volume sont connus du lectorat : les romans « Pas ici, pas maintenant », « Trois chevaux », « Montedidio », « Le poids du papillon », « La nature exposée », « Le tour de l’oie », les recueils de nouvelles « Acide, arc-en-ciel » (incluant le recueil « Les coups des sens »), « Le contraire de un », « Le chanteur muet des rues » (bref recueil qui m’était inconnu à ce jour), ainsi que la pièce de théâtre « Le dernier voyage de Sindbad » et l’essai « La parole contraire ». De quoi s’occuper largement tout en apprenant, et en étant accessoirement hypnotisé par le style de l’auteur, propre et concis. Je ne vais pas une fois de plus épiloguer sur mon admiration pour DE LUCA, je vous invite tout simplement à vous ruer sur cet imposant recueil qui, par son choix de texte et ses inédits, est une pièce non négligeable dans l’ensemble de l’œuvre de l’écrivain. Un seul regret toutefois : celui de ne pas voir apparaître de la poésie, que DE LUCA manie pourtant avec génie. Le volume est sorti très récemment, il devrait ne plus quitter votre table de nuit une fois l’achat effectué.
(Warren
Bismuth)
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