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mercredi 5 juillet 2023

Sébastien CAGNOLI « Espars »

 


Avant toute chose, attardons-nous sur l’objet, son format. Pas très banal : long et épais, un peu de la dimension d’une BD moderne, très lourd. Et d’emblée nous voilà frappés par la couverture, cette illustration de Elza LACOTTE invitant au voyage. Mystérieux ce sous-titre de « Poème épique ». Ouvrons l’ouvrage…

Là encore nous sommes saisis : toujours par les dessins aux couleurs vives de Elza LACOTTE, saisis aussi par la police de caractères de ce poème, grosse, aisément lisible, y compris par des personnes à déficience visuelle. Oui, un peu comme les « Gros caractères » de nos bibliothèques.

« Espars » est un voyage maritime, ancien, il est fait de ces siècles disparus où des frégates voguaient sur mers, cales emplies de prisonniers, où chaque traversée était une bataille. Contre les vents mais aussi contre les vaisseaux ennemis, toujours prêts à en découdre. Il fallait se battre, vague après vague, pour rester en vie, boucler le voyage. Grâce à Sébastien CAGNOLI, on imagine le capitaine du navire, celui qu’il a décidé de mettre en exergue pour guider et le bateau et son lectorat. Vaisseau de 200 hommes, 32 canons. Vogue la galère !

Le capitaine prend la parole, en italiques, et en vieux français. Discours moyen-âgeux comme pour mieux replacer l’action dans le contexte, les références sont nombreuses et viennent des siècles anciens. Et puis, comme s’il fallait connaître sur le bout des doigts le contenant, Sébastien CAGNOLI prend son temps pour disséquer ses navires, les passer au rayon X, nous les montrer pièce après pièce, dans un vocabulaire technique, sans jamais oublier la persistance des vers libres, ni les légendes :

« Ils tombèrent sous les tirs

ou sous

les feux fatals d’un orage

ou encore

fauchés par une épidémie

on a vu des navires

privés de tout équipage

dérivant

les matelots ayant péri

tous les matelots

et leur fantomatique chef

au gré des courants au gré des vents

croisant la route

de nos

frégates

et sachez qu’il se peut encore

après des mois de dérive

après des années sans pilotage

sachez

qu’on peut

encore apercevoir à bord

ou alentour

les esprits errants des malheureux

les âmes des marins amoindris

apparaissant disparaissant

parfois peut-être sous les traits d’un

poisson ».

On se laisse guider et dériver. Car le texte, s’il est toujours léché, jouant avec les mots et les sonorités, peut se faire brumeux, mais paradoxalement il nous embarque avec lui, ne nous laisse jamais à quai. Et régulièrement, ces illustrations, sublimes, colorées, maritimes elles aussi, témoins de la période évoquée. C’est un tout, une totale complémentarité entre texte et dessins.

Il y a le fond et la forme : la volonté de retracer une épopée maritime tout en y faisant s’amuser les mots, les syllabes et les sonorités, mais ne jamais perdre de vue la terre à l’horizon tout en évitant les écueils et les drames car :

 

« Notre tâche est de nous rendre

au port d’outre-mer

non

d’user les boulets ».

Ces drames pourtant surviennent :

« Les

décédés on les enroule

dans

un drap de voile hop à la mer ».

280 pages de péripéties maritimes, de tragédies, de combats, de joies, de pétillement de la rétine devant la beauté du monde, pétillement démultiplié par les illustrations accompagnant notre lecture comme un jalon. 280 pages où nous voyageons sur les mers et dans le temps, témoins par exemple d’un combat de 1787. Livre puissant et d’un esthétisme à couper le souffle qui vient de paraître aux éditions Le Ver à Soie, jamais à cours d’inspiration. Ce poème a par ailleurs remporté le Prix Méditerranée « Poésie » 2023.

https://www.leverasoie.com/

(Warren Bismuth)

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