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mercredi 4 septembre 2024

Isabelle FLATEN « Inféodée »

 


Hjørdis Løkkeberg est une jeune femme de 20 ans qui rêve de liberté au fond de sa Norvège. Désirant s’extraire de l’autorité paternelle – sa mère est décédée – elle part s’installer dans le même pays mais à environ 1000 kilomètres du nid familial. Le travail qu’elle y a trouvé est à la fois un prétexte et une opportunité. Là-bas elle s’éprend de Morten, avec lequel elle ne tarde pas à se marier. Mais ce Morten est-il bien celui qu’elle croyait ? Première déconvenue, il est militant actif au sein des témoins de Jéhovah. Une enfant naît de cette union : Selma. Sera-t-elle la créature qui les rapprochera ou les perdra ?

Dans des paysages que l’autrice a bien connus (elle a vécu en Norvège), Isabelle Flaten nous guide dans l’histoire et la culture norvégienne tout en nous faisant vivre aux côtés de Hjørdis. Une Hjørdis qui semble s’être trompée de vie, qui doute, se remet en question, alors que l’amour de Morten paraît s’étioler, comme son but même de vie : les témoins de Jéhovah. Les amis de Hjørdis sont loin d’être des personnages secondaires, ainsi Randi la confidente fidèle ou encore ce Jonas qui va jouer un rôle important.

Dans ce qui pourrait être un simple roman d’amour, Isabelle Flaten incorpore une bonne dose d’engagement : « Chacun a sa propre vision du bien et du mal et devrait pouvoir vivre en accord avec son éthique tant qu’il ne l’impose pas aux autres. Fieffé gouvernement qui prône haut et fort le droit à la différence et ne tolère aucun pas de côté. Qui s’acharne à combattre le repli sur soi au nom du ‘vivre ensemble’ quand l’Histoire a démontré que c’était une utopie ». « Inféodée » est un texte sur le doute, l’incertitude, la difficulté de prendre des décisions pourtant cruciales pour le reste de sa vie. C’est aussi un récit sur le déracinement, avec une Hjørdis dont le coeur navigue entre sa terre natale et celle d’adoption, mais qui choisira la première, comme un retour aux sources.

Roman du tiraillement, avec ce couple en proie aux démons d’une religion trop présente et trop sectaire, qui se déchire jusqu’à ce que l’acceptation et la tolérance de façade prennent la place de l’amour, le renvoient comme un chien galeux à ses espérances passées et révolues. Mais « Inféodée » est aussi un texte sur la trahison, la reconstruction et la recherche du bonheur après un objectif perdu de vue. Il se lit comme une complainte en forme d’espoir, comme un appel à la méfiance également : « À l’instar de tout égaré à qui l’on offre l’hospitalité sans condition, par respect et gratitude envers ses hôtes, il s’est efforcé de s’adapter à leurs us et coutumes. Entouré de bras grands ouverts, inondé de regards bienveillants, abreuvé de paroles réconfortantes, peu à peu l’esprit du lieu a infusé en lui sans qu’il y prenne garde ». Car c’est aussi un cri à la vigilance, contre la manipulation des esprits. Isabelle Flaten déploie son talent à tacler sans ménagement les sectes religieuses.

À l’instar de sa Lenka (« Les deux mariages de Lenka ») ou de son Emma Bovary (« Un honnête homme »), Isabelle Flaten déroule l’itinéraire d’une femme de son temps en recherche de repères et de liberté dans un univers réaliste où l’humour et le cynisme font bon ménage au milieu d’une écriture classique. Elle est de ces autrices qui restituent pleinement les sentiments féminins et leur légitime circonspection envers les promesses des hommes entre sentimentalisme et révolte. « Inféodée », ce beau titre, vient tout juste de sortir chez Anne Carrière, il entre en parfaite cohérence dans l’œuvre de l’autrice.

https://anne-carriere.fr/

 (Warren Bismuth)

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