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mercredi 11 septembre 2024

Elias KHOURY « La mémoire de Job »

 


Cette pièce du libanais Elias Khoury fut écrite à Beyrouth en 1993 pour le cinquantième anniversaire de l’indépendance du Liban. Des scènes, des tableaux plutôt, sur les conditions et les débuts chaotiques et laborieux de l’indépendance, l’émancipation de 1943, alors que le pays se trouvait sous mandat français depuis 1920. « Le 11 novembre [1943 nddlr], les Français procèdent à l’arrestation du Président de la République chrétien, Bechara el Khoury, et du Premier ministre musulman, Rihad el Solh, ainsi que de Camille Chamoun et Salim Takla ».

50 ans d’indépendance, dont un tiers de guerre (1975-1990). Celle-ci aussi est longuement consignée, notamment par un certain Job, Ayyoub en arabe, qui a vécu les événements de la guerre civile en direct. Ce Ayyoub, personnage énigmatique, qui a existé mais que Elias Khoury s’approprie et réinvente pour en faire le fil rouge de sa pièce. Au-delà de ces instantanés, « La mémoire est Job » est un véritable livre sur l’histoire contemporaine du Liban depuis 1943 (cette date majeure que pourtant une partie de la population ignore).

La suite, non moins primordiale : de cette guerre de 15 ans, 20000 civils sont portés disparus, sans doute à tout jamais, ces fantômes que les familles recherchent, demandant des précisions, des renseignements aux autorités. En vain. Ces hommes ont été arrêtés et puis… Et puis ? Rien. Plus jamais de nouvelles. Il serait plus aisé de laisser tomber, d’oublier, mais « En finir avec le passé ? Mais alors, on n’est plus rien ! Un peuple sans histoire est un peuple sans volonté ». 1982, invasion de l’armée israélienne, année charnière avec notamment le massacre de Sabra et Chatila, summum de l’horreur dans cette guerre.

En fin de pièce le traducteur du présent volume à partir de l’arabe libanais, Roger Assaf, intervient pour deux courts textes éclairants en forme de documentaire, pour préciser certaines idées ou situations évoquées dans la pièce, dans un pays meurtri, en ruines, déglingué par la guerre, par l’occupation. Il paraît particulièrement ardu de résumer 50 ans d’une nation en à peine 70 pages, pourtant l’auteur Elias Khoury y parvient avec brio, en nous tenant en haleine, sans jamais mollir, faisant de cette « Mémoire de Job » un théâtre documentaire de très grande qualité. Un texte qui vient de paraître aux éditions L’espace d’un Instant, toujours en embuscade pour les piqûres de rappel sur l’histoire mouvementée de pays peu connus en France pour, par des pièces accessibles et résolument modernes, nous faire revivre les guerres, les drames, les tragédies et les volontés d’indépendance de peuples opprimés.

Edit : quelques heures après la publication de cette chronique Elias Khoury nous quittait...

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(Warren Bismuth)

2 commentaires:

  1. Très bon article, sensible et intelligent. Il faudrait cependant signaler deux erreurs factuelles: 1) le Liban, entre 1920 et 1943 était sous mandat français et non sous mandat franco-britannique - 2) le nombre de ''disparus'' kidnappés par les différentes milices libanaises entre 1975 et 1990 s'élève à près de 20,000 et non pas 2,000.

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    1. Merci beaucoup pour votre vigilance, correction effectuée.

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