Dans ce blog on ne se frotte pas trop aux polars, pourtant on garde toujours un lien, même ténu. Et un roman de la qualité de celui de Richard Hugo ne nous fait qu’abonder en la satisfaction de ne jamais laisser tomber l’art du polar.
Al Barnes est un flic (et poète raté) installé dans le Montana après des années à exercer à Seattle. Le roman s’ouvre sur une scène brutale : l’assassinat d’un vieux pêcheur au bord de l’eau à coups de hache, sans tambours ni trompettes, crac ! Une grande femme avec une hache a été aperçue sortant d’un bois, la piste criminelle est en place. Peu après, un nouveau crime, celui d’un ouvrier qui travaillait dans une scierie. La présumée coupable est rapidement localisée, interrogée puis condamnée. Ainsi pourrait prendre fin ce qui serait une jolie mais peu originale nouvelle policière. C’est sans compter sur le talent sans faille de Richard Hugo.
Al Barnes tire les fils des deux affaires, et extirpe presque malgré lui un crime vieux de 19 ans, crime qui semble bien emmêlé, opaque. Barnes va devoir faire preuve de diplomatie, voire d’une évidente hypocrisie pour soutirer quelques éléments indispensables à la reconstitution du puzzle. Car il se pourrait fort que les récents crimes soient liés de près ou de loin à celui d’il y a presque deux décennies.
Sans entrer dans l’enquête pour vous laisser la surprise, je peux dévoiler une chose : ce roman est addictif autant qu’il est talentueux ! Émaillé de nombreux rebondissements, non seulement crédibles mais très bien sentis, le scénario se déroule tranquillement, sans à-coups. Hugo ne tombe pas dans le piège des polars noir typiquement étatsuniens. Il ne manie pas l’excès, que ce soit celui de l’écriture, de l’atmosphère ou de ses personnages, lesquels ici sont sobres tout en restant – pour certains – malfaisants. Il ne fait pas défiler une myriade de jeunes blondes à poitrine opulente, il n’arrose pas chaque page d’un coup de flingue ou de whisky. Bref, s’il n’innove pas précisément, il reste à l’écart d’une certaine école de polar un peu usée.
« La mort et la vraie vie » est aussi une lutte sociale, laquelle s’installe au fur et à mesure que l’intrigue avance. Le roman fait la part belle aux grands espaces mais tout en nuances. Les personnages sont peints avec précision, méticulosité. Quant à l’enquête elle est aux petits oignons et nous démontre qu’un suspect peut en cacher un autre… qui peut en cacher un autre…
Le métronome de ce superbe roman pourrait être le froid, celui du Montana où Barnes s’est retiré, à Plains, tout près de Missoula, croyant être enfin tranquille. « Les hivers du Montana en arrivent à constituer une sorte de test. Les couples mariés s’aperçoivent qu’ils passent de plus en plus de temps ensemble à la maison, jusqu’à ce que chacun décide de passer de plus en plus de temps avec quelqu’un d’autre. Les mariages ne résistent guère à la réclusion. À Missoula, le taux de divorce est deux fois supérieur à la moyenne nationale. En hiver, près de la moitié des vols prévus à l’aéroport de Missoula sont annulés ».
Richard Hugo (1923-1982) fut surtout connu pour sa poésie. C’est au crépuscule de sa vie, en 1980, qu’il écrit ce roman, le seul de sa carrière. Il est ici traduit par Michel Lederer et majestueusement préfacé par James Welch, qui fut un ami de Richard Hugo. Ce qui est étonnant, c’est que Richard Hugo, encensé par de nombreux romanciers étatsuniens (notamment ceux de l’école dite du Montana), qui souvent se réclament de son héritage, n’a été traduit que deux fois en France : un recueil de poèmes ainsi que ce « La mort et la belle vie », seulement publié en 1997 et 1999, soit il y a plus de 25 ans, ce qui paraît inouï pour un si beau roman pondu par un si influent auteur. Le monde de la littérature est parfois empreint de bizarreries et autres curiosités inextricables.
(Warren
Bismuth)
Je ne connaissais pas du tout cet auteur, jusqu'à ce que, récemment, je lise un ouvrage de Charles D'Ambrosio, sorte de compilation d'articles et de réflexions diverses, dans lequel il analyse un de ses poèmes. J'ignorais qu'il avait aussi écrit du polar, et je vois que c'est à découvrir..
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