Après son formidable « Taqawan »
l’an dernier, Éric PLAMONDON revient en force avec ce titre tout aussi
énigmatique. Oyana est une femme, élevée dans le pays basque durant les années
où l’organisation E.T.A. est à la manœuvre dans divers attentats politiques. Oyana
part vivre à Montréal, après être passée – croit-on – par le Mexique. À
Montréal se met en couple avec Xavier, refait sa vie avec lui. Oui mais
justement, quelle fut cette vie antérieure ? Oyana a passé son temps à la
cacher, à mentir par omission. Alors qu’elle décide de quitter Xavier, elle va
ouvrir enfin son cœur et son passé, percer les mystères, écrire plusieurs
lettres à Xavier. Elles seront le fil directeur de ce roman.
Le 20 décembre 1973 Oyana voit le jour dans
le pays basque. Le même jour survient l’un des attentats les plus
spectaculaires de l’E.T.A. : dynamitage pur et simple de Lluis Carrero
BLANCO, Président du gouvernement espagnol, numéro deux du pays derrière
Francisco FRANCO. Cet attentat est le point de départ d’un acharnement sur les
militants de l’E.T.A. durant des décennies et d’un état de guerre quasi
permanent.
Revenons à Oyana. Elle quitte Xavier, elle
fuit plutôt. Besoin presque incontrôlable de rejoindre sa région natale. En
effet, l’E.T.A. vient non seulement de déposer les armes, mais s’est dissoute le
2 mai 2018 (Oyana commence à écrire à Xavier juste après). Bref, E.T.A.
n’existe plus, c’est ce qui en quelque sorte motive Oyana : les lettres,
le départ précipité, l’envie de revoir son pays basque, sa mère, son père de
substitution. Le vrai était un membre actif de l’organisation terroriste, il y
a laissé la vie, mais là encore mensonge par omission, mais de la part de ses
parents. Elle apprendra bien tard la vérité.
La langue parlée, la régionale, la locale,
occupe une place importante dans le récit : « Une langue, c’est un patois qui a gagné la guerre ». Alors la
guerre dure et perdure. Sauver ses racines, à tout prix, mais justement à quel
prix ? 829 personnes seraient mortes des armes de l’E.T.A. Quant à Oyana,
elle aurait « accidentellement » participé à l’un de ces attentats.
Ce roman court et nerveux est composé de pas
mal de parties en mosaïque : les lettres d’Oyana à Xavier, des chapitres
tout journalistiques sur les faits divers impliquant E.T.A. mais aussi leurs
affaires judiciaires, une remontée historique sur les racines de la volonté
d’indépendance basque, d’autres chapitres où apparaît Oyana dans la vraie vie,
comme des flashbacks, d’autres encore sur la situation historique plus que
tendue entre le gouvernement espagnol ou encore l’armée avec E.T.A. Quelques
plongées en pleine guerre d’Espagne dès 1936 comme pour dresser un pont entre
cette guerre civile et les raisons du combat de l’E.T.A. « Le 6 octobre 1936, pour parer au soulèvement
des militaires nationalistes, la république espagnole reconnaît l’autonomie
d’Euskadi. Les basques seront ensuite une cible privilégiée pour Franco qui
refuse leur indépendance et veut s’emparer de leur importante industrie
métallurgique ». Non le combat des nationalistes basques n’a jamais
été aveugle.
Les lettres d’Oyana sont bouleversantes,
tentent d’expliquer l’inexplicable, de le justifier, les prises de positions,
le sentiment de n’avoir jamais été elle–même en exil au Québec. S’adressant à Xavier,
elle écrit : « Tu disais
souvent à la blague, en parlant de ta vie à Montréal et ta jeunesse dans la
ville de Québec : on peut sortir un gars de Québec mais on ne peut pas
sortir Québec d’un gars ! Je ne pouvais m’empêcher de ne pas être d’accord.
C’était tout l’inverse de ma vie. Je m’étais arrachée de l’intérieur tout ce
qui pouvait me lier au pays basque. Je faisais un rejet complet de tout ce qui
pouvait ressembler de près ou de loin à des histoires de régionalisme,
nationalisme, isme, isme, isme. Ce n’était pas par conception politique,
c’était une expérience personnelle. Tu peux le comprendre maintenant. Je ne
pouvais pas me définir par ce type d’appartenance même si j’ai toujours adoré
le Québec. Une fois que l’on est arraché à la géographie d’un lieu, on doit
s’accrocher à son pays intérieur. C’est en soi que se joue la vraie guerre
d’indépendance ».
Il n’est pas souhaitable de dévoiler toute
l’intrigue, mais sachez qu’en moins de 150 pages, PLAMONDON nous met sur le
flanc : l’écriture est rapide mais tortueuse, l’atmosphère fort bien
rendue, le scénario n’est pas une pure invention, il se base sur des faits
historiques solides et documentés. Comme dans « Taqawan », le
romancier est un peu historien, ouvre des brèches et donne des pistes. PLAMONDON
possède un avis, bien sûr, mais avant tout il désire raconter de la manière la
plus neutre possible.
Par certains aspects, PLAMONDON me rappelle
beaucoup d’illustres auteurs actuels comme Éric VUILLARD ou Joseph
ANDRAS : aller au plus près de l’Histoire, la torturer, la malmener pour
en tirer la substantifique mœlle, le jus nécessaire, à la seule différence que
PLAMONDON transforme cette moelle en roman. Ce « Oyana » est en tous
points remarquable voire magistral, il sera sans doute l’un des grands romans
de l’année par son rythme vivifiant, son sérieux historique, ses personnages
attachants et très réussis. J’ai beau chercher, je ne trouve présentement
aucune fausse note. C’est tout simplement un très grand roman, auquel nous
souhaitons un parcours aussi près des cimes que son ancêtre
« Taqawan » que, soit dit en passant, vous pouvez désormais vous
procurer en version poche. L’année en cours pourrait bien s’avérer
Plamondonienne. Roman sorti en 2019 chez les toujours excellents Quidam
Éditeur. On en redemande.
(Warren
Bismuth)
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