Arrêtez
sur-le-champ tout ce que vous aviez entrepris pour vous isoler avec ce roman,
c’est (presque) un ordre ! Pourtant écrit en 1975 (et très récemment
réédité en France), il est d’une incroyable clairvoyance sur le monde
d’aujourd’hui. Pour ceci, il peut sans conteste être qualifié de roman
d’anticipation, même si l’action se déroule en 1999 (soit tout de même 25 ans
après son écriture).
Une région
états-unienne, l’Écotopia, regroupant une partie de la Californie, l’Oregon et
l’État de Washington, a fait sécession avec le reste des U.S.A. William Weston,
journaliste au Times-Post de
New-York, est envoyé en Écotopia afin d’écrire des articles sur ce nouveau pays.
Ce qu’il va y découvrir dépassera l’entendement.
Ce roman est
tellement riche et dense qu’il est impossible de souligner tous les aspects
développés dans ce pays de cocagne. Mais voici un aperçu sur ses avancées. Tout
d’abord les Écotopiens sont humanistes, collectivistes et solidaires. Leur ego
ne les intéressent pas, leur nombril ne fait pas partie de leur quotidien. Dans
ce petit pays ont déjà été concrétisés nombres de projets pour le bien-être
humain, mais surtout et avant tout de la nature : pas d’éclairage la nuit,
pas ou peu d’automobiles, transports en commun gratuits (le train est assez
répandu), panneaux solaires visibles un peu partout. Le plastique existe bel et
bien, mais il est issu de plantes qui seront recyclées après détérioration.
D’ailleurs, la plupart des biens des Écotopiens sont recyclables, biodégradables,
l’humain n’étant pas au centre de la vie. Tout est prévu pour diminuer la
pollution, la cupidité et l’étouffement, auto-contrôle des naissances (le
fameux déclin démographique), impôts uniquement mis en place pour les
entreprises, salaires plafonnés, réglementation stricte tendant vers une
écologie « radicale » et une auto-suffisance.
Et tout ceci
semble fonctionner à merveille. D’abord dubitatif voire carrément hostile,
William Weston finit par se laisser séduire et ses articles évoluent au cours
du récit. Voyez-vous donc : le Président est une Présidente ! L’amour
est libre et la femme enfin l’égale de l’homme, dans les salaires, les
décisions, les tâches et les responsabilités, elle lui est même parfois
supérieure : « Le contrôle
absolu qu’elles ont de leur corps signifie qu’elles disposent ouvertement d’un
pouvoir qui, dans d’autres sociétés, est inexistant ou dissimulé : le
droit de choisir le père de leur enfant. ‘Aucune Écotopienne ne porte jamais
l’enfant d’un homme qu’elle n’aurait pas librement choisi’ m’a-t-on
solennellement déclaré ». William entreprend une liaison libre avec
Marissa, une Écotopienne qui lui apprend que les femmes ont leur jardin
secret : « Elle refuse de me
dire si elle est dans la période de fécondité, de son cycle ou si elle a encore
un stérilet. Elle se contente de me répondre : ‘c’est mon corps’ ».
Tout ce
peuple semble vivre en totale harmonie dans une sorte d’immense communauté.
D’ailleurs, les Écotopiens se sont beaucoup inspirés des tribus indiennes pour leur
projet de vie. Le mot d’ordre, même s’il n’est pas prononcé (roman écrit en
1975 je le répète) est : décroissance ! En effet, 20 heures de
travail hebdomadaire, diminution drastique de l’esprit de compétition,
éducation revue et corrigée, mais aussi confection de matériaux solides et
aisément réparables (ou l’anti obsolescence programmée), pas de statut spécial
pour les professions, notamment celle d’artiste, tout le monde au même niveau.
Pour le bien-être collectif, la marijuana est tolérée et même encouragée,
malgré le manque à gagner pour les caisses de l’État. Il n’existe pas de
« grands projets inutiles », d’ailleurs de nombreuses structures
considérées comme obsolètes ou réduisant la liberté des humains et des animaux
ont été déconstruites : « Le nouveau
gouvernement est allé jusqu’à faire dynamiter certains barrages construits sur
des fleuves, sous le prétexte fallacieux qu’ils empêchaient la pratique du kayak
et interféraient avec la remontée des saumons, laquelle a repris après beaucoup
d’efforts et pour la plus grande joie de la population ».
Pourquoi par
exemple la semaine de 20 heures de travail ? « L’homme, affirmaient les Écotopiens, n’est pas fait pour la production,
contrairement à ce qu’on avait cru au XIXe et au début du XXe. L’homme est fait
pour s’insérer modestement dans un réseau continu et stable d’organismes
vivants, en modifiant le moins possible les équilibres de ce biotope ».
Dans ce roman
est écrit noir sur blanc le terme « Do
it yourself » et, même si ce peuple Écotopien n’est ni végétarien ni
vegan (1975 hein !), le respect animal et de la nature sont prépondérants.
Ce que décrit Ernest CALLENBACH (dont c’est semble-t-il le seul roman) est tout
bonnement une sorte de société libertaire idéale débarrassée de ses fléaux et
de ses envies destructrices (et ce même s’il y a quelques prisons là-bas). Le
rendu est impressionnant, parfois technique lorsqu’il tend à expliquer les
phases de production d’un matériau (même si le bois est celui qui est le plus
naturellement préconisé), mais toujours très précis, documenté et passionné. Sa
présentation est la suivante : alternance de deux modèles de chapitres,
dans l’un William parle de ce qu’il voit, entend, ressent autour de lui, dans
l’autre c’est le journaliste qui livre ses impressions au Times-Post. Après moins de deux mois au cœur de l’Écotopia, il lui
faudra prendre une décision définitive sur sa vie future.
Ce roman
d’une grande ingéniosité est aussi un récit ô combien visionnaire. La société
Écotopienne de 1999 dépeinte ici ressemble farouchement à une communauté
parfaite que nous rêverions de rejoindre (et urgemment même !) en 2019, 20
ans plus tard. Ce livre fait un bien fou, donne des pistes pour démontrer qu’il
n’est jamais trop tard pour la planète, et surtout certifie que les questions
que nous nous posons aujourd’hui sur l’écologie et le vivre ensemble ne sont
pas nouvelles puisque très habilement développées dans ce roman qui gardera
pour moi une place très spéciale pour longtemps encore. Applaudissements
nourris et intensifs. Il est sorti fin 2018 chez Rue de L’Échiquier et pourrait
rapidement devenir la référence anticipatrice d’une société utopique comme l’a
par exemple été « 1984 » d’Orwell pour la dystopie.
(Warren Bismuth)
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