Le temps de me recoiffer et je suis à
vous. En effet, ce livre de l’auteure algérienne Sarah HAIDAR est une tempête
sur (et sous) le crâne. Début des hostilités avec cet avertissement « À la littérature, sublime salope sans
scrupules ». Cet OVNI littéraire est une polyphonie de monologues
poétiques et violents. Une auteure publique, noire, alcoolique,
« nègre » d’écrivains en mal d’inspiration conte ses blessures par
allusions, hallucinations. Un employeur surnommé Chrysanthème, puis rencontre
avec un homme, pédophile et assassin d’enfants. Séquence dégoût total.
Puis tout un peuple va faire écho à
l’auteure publique, va prendre la parole, divination de la littérature, son
poids, son influence, son pouvoir. Prendre le train en marche : « Je n’ai pas assisté à mon enfance »,
dans les bas-fonds infestés de rats, araignées, mites et autres cafards. Récit
halluciné, violence encore, impitoyable. Sans l’écriture nous ne sommes rien.
Avec elle, elle seule survivra, et encore. Le couple symbole du
nihilisme : « La rencontre
entre un homme et une femme se fait toujours dans la violence car elle n’est
rien d’autre qu’une intrusion intolérable dans l’univers de l’autre, une
atteinte à sa solitude, un viol, une humiliation. C’est sans doute pour cela
qu’il me faut à présent vivre avec lui quelques minutes de rejet, une
possibilité de recul, trouver le moyen d’anéantir ce festival de délicieux
cauchemars que me font miroiter ses yeux et son rictus. Je suis, comme lui, au
seuil de l’enfer ; nous hésitons ensemble à y accéder tout en sachant que
ne pas le faire nous ferait retomber dans la même linéarité insupportable ».
Certains moments sont rudes,
insoutenables, la torture d’enfants, par tous les bords, de toutes les
manières. Oui mais l’auteure publique a publié un livre sur la pédophilie, les
lecteurs s’en sont imprégnés, se sont pris au jeu. La limite du supportable
n’existe plus. Les barrières sautent, dynamitage du seuil de tolérance.
Ce texte est d’une agressivité sans nom.
Un extrait le résume bien mieux que je ne pourrais : « Des créatures improbables venaient peupler
le visage d’une nouvelle vie, de la dégénérescence minable d’un texte
provisoire. Avec elle, l’écriture était affranchie de ses lâches virgules et de
ses minables suspensions car elle venait de découvrir son essence
inconditionnelle : jamais de début ni de fin mais un éternel tournoiement
autour du néant de riens et vérités fatales ».
Lucidité, voire inquiétude de l’auteure
qui, dans un dialogue entre l’auteure publique du récit et son éditeur, imagine
ceci :
« -
Les textes ne vous plaisent-ils pas ?
- Pour qu’ils me plaisent, faudrait
d’abord que je les comprenne ! Or, ce que vous m’avez balancé, ce n’est
rien d’autre qu’un amas de charabia qui n’a du français que l’alphabet, et
encore ! Qui va vous lire des immondices pareilles ? Vous étiez
sous-effet quand vous les avez écrits ?
- À vrai dire, je n’en suis pas
l’auteur ; je les ai trouvés dans un cimetière ».
Sarah HAIDAR, féministe libertaire, est
comparée à LAUTRÉAMONT, mais il n’est pas interdit de penser au marquis de
SADE, voire plus près de nous à Marcel MOREAU ou à certains textes sulfureux de
Jacques CHESSEX.
Qu’on ne s’y trompe pas : derrière
ces enchevêtrements d’images terrifiantes dans un univers presque gothique,
c’est bien un hommage appuyé à la littérature dont il est ici question. Les
mots claquent, errants abandonnés, orphelins, sans but. L’écriture y est très
exigeante. C’est aussi une ode à la Terre, Dame souillée par l’humain et par
ses dieux destructeurs. Une lecture qui laisse K.O., roman poésie (ou récit
halluciné) écrit en 2013 et sorti fin 2018 en France chez les immanquables
Éditions Libertalia.
(Warren
Bismuth)
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