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mercredi 27 février 2019

Anna AKHMATOVA « Le roseau »


« Le roseau » : recueil de 26 poèmes assez variés tant par la longueur que par les thèmes, écrits entre 1924 et 1944, dont une partie ne possède pas de titres. La poétesse russe puis soviétique y évoque l’amour, mais pas celui des cartes postales, plutôt celui qui fait mal, qui déchire et marque les esprits à jamais. La nostalgie figure en bonne place, cette année 1916 semble avoir été une période charnière, une dernière année de bonheur, regrettée car considérée comme insouciante. C’est en octobre 1917 que survient la révolution russe, et même si AKHMATOVA ne semble pas la décrier, elle repense aux années antérieures, celles précédant le grand soir surtout. La mort, bien sûr (nous sommes chez les russes donc pour une soirée calembours il faudra repasser), omniprésente : « Lentement roulaient les landaus des morts d’aujourd’hui ».

Plusieurs poèmes sont consacrés à des figures qui ont marqué Anna AKHMATOVA (1889-1966) : POUCHKINE (à qui elle a souvent été comparée), LERMONTOV, PASTERNAK (son vieil ami), MAÏAKOVSKI, mais aussi DANTE et CLEOPÂTRE. Ne pas oublier une autre figure historique : la ville de Leningrad, en 1941, ainsi que la ville de Voronev. La nature joue son rôle, certes diluée mais donnant comme l’air qu’elle produit une grosse respiration au milieu de la noirceur.

L’amour en forme d’urne funéraire, encore :

« Je bois à la maison saccagée,
À ma vie mauvaise,
À notre solitude à tous deux,
Et je bois à toi,
À tes lèvres menteuses,
Au froid mortel de tes yeux,
Parce que le monde est dur et brutal,
Parce que Dieu n’a rien sauvé »

Des poèmes dégraissés, vidés de leur surplus, se présentant décharnés, expurgés, peu de mots, chacun possédant un poids bien spécifique. Ce recueil est posthume, puisque comme nombre des écrits d’AKHMATOVA, il fut interdit en U.R.S.S.

Après « Le roseau », place au recueil le plus connu de AKHMATOVA : « Requiem ». Écrit entre 1935 et 1940, en pleine terreur stalinienne (au paroxysme des purges), accompagné de deux poèmes rédigés en 1957 et 1961. L’auteure s’y fait plus tranchante, plus incisive, sa plume est glaciale.

« Non, ce n’est pas sous des cieux étrangers,
Pas sous la garde d’ailes étrangères,
J’étais là avec mon peuple, là même
Où par malheur mon peuple se trouvait ».

La mort, encore et toujours, obsédante, envahissante, annihilante. Les titres des poèmes donnent le ton : « L’arrêt », « À la mort », « Crucifixion », « Épilogue », et j’en passe pour ne pas vous miner le moral. Poèmes parfois très brefs, parfois s’étendant sur plusieurs pages. En U.R.S.S., ce « Requiem » ne fut autorisé qu’à partir de 1987, il avait été publié en France, dès 1966 par les Éditions de Minuit, et encore avant en Allemagne, en 1963.

Ce recueil déchirant, à ne pas lire si notre mental est un brin érodé, fut publié en 2007 par les Éditions Harpo & qui proposent une jolie préface pour un objet absolument magnifique avec papier épais résistant aux larmes.


(Warren Bismuth)

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