Le narrateur ne dévoilera pas grand-chose
de lui-même sinon qu'il est peintre et surtout ami de Simon. Il va raconter
dans le détail ce que ce dernier lui a narré. Simon, c'est ce pianiste de jazz
exceptionnel qui a dû mettre fin à sa brillante carrière pour cause d'amour un
peu trop prononcé avec le divin goulot. Il a associé, comme beaucoup, musique
et beuverie, jamais l'un sans l'autre. Puis il s'est forcé à se ranger des
voitures, est devenu père de famille et ingénieur.
Justement, un soir, il est en dépannage au
bord de la mer, loin de chez lui. L'assistance technique a duré plus longtemps
que prévu. Une fois la besogne terminée, son client lui propose d'aller boire
un verre, un seul, comme ça, en camarades, en guise de remerciement. Dans un
club de jazz. Simon hésite, finit pas accepter. Sans qu'il le sache, sa vie va
basculer au moment même où il va pénétrer dans le club : retour des
frissons et sensations sur la musique jazz et son royaume, alcool (« Simon ne parlait pas. Un peu ivre avant même
d’avoir bu il regardait le piano »), rencontre avec la tenancière du
club, une voix superbe, et pas que la voix d'ailleurs aux yeux de Simon qui va
se rasseoir au piano, comme avant, retrouver des émotions perdues depuis 10
ans. Son client qui pourtant l'a fait venir dans ce lieu endiablé finit par
l'abandonner à son sort. Il n'aurait pas dû : Simon décide de ne pas
prendre le train de nuit qui devait le ramener chez lui auprès de Suzanne, sa
femme qui l'attend. Une longue liste de rebondissements va entraîner Simon vers
un drame inéluctable.
Il n'est jamais trop tard : je
découvre enfin Christian GAILLY (1943-2013), ressens comme une tornade
au-dessus de ma tête. Sentiment d'avoir refermé une petite merveille. Un
scénario classique, voire bateau, qui au fil de l'histoire se durcit,
s'assombrit. Et puis le style. Bon sang quelle écriture ! Un humour décalé
(à l'anglaise diraient certains), tombant sur le papier au moment où l’on ne
s'y attend pas, une atmosphère très 50's, l'odeur du bouquin est
évidente : clopes sans filtres et alcool fort, parfums de fin de soirée et
cacahuètes périmées, dessous de bras spongieux et bière tiède.
GAILLY se disait influencé par BECKETT. Ce
cochon a parfaitement réussi son hold-up. À partir d'un fil banal ou presque il
nous entraîne avec la seule force de son stylo dans une ambiance vers laquelle
on ne peut que rester pantois tout en en redemandant. On a envie de suivre
Simon dans son bonheur retrouvé, dans son malheur à venir, dans son chemin de
croix pour finir. L'intrigue se déroule sur 24 heures riches en épisodes.
GAILLY possède un certain génie pour faire parler les personnages dans leur
tête alors que leur bouche va dire le contraire, c'est très fin et non abusif,
c’est surtout drôle. La politesse de l'hypocrisie sociétale en quelque sorte.
Livre de 2002 paru aux Éditions de Minuit,
comme tous les romans de l’auteur. Il fut adapté en 2009 au cinéma. Ce GAILLY
vient d'allumer une loupiote très éclairante dans mon crâne, je vous reparlerai
de ce type-là, cela ne fait désormais aucun doute !
(Warren Bismuth)
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