L’un des plus longs romans de l’ami Jim
(1937-2016), sorti en 2004 et retraçant le parcours d’une famille états-unienne
du Michigan du début des années 60 jusqu’au milieu des années 80, soit près de
trois décennies découpées en trois parties. En personnage principal David
Burkett, dont le roman est en quelque sorte le parcours. Fils et petit fils
d’exploitants forestiers, il grandit dans l’aisance mais pas dans la tendresse,
dans le développement économique mais pas dans l’affection. De plus, sa famille
se trimballe de vilaines casseroles au fessier depuis pas mal de temps,
notamment le père Burkett, alcoolique et pédophile notoire, alors que la chère
maman gobe des cachets comme des bonbons pour la gorge pour tenter de voir la
vie en rose.
La vie de David va se définir entre son
amour pour la nature, les bateaux, la pêche, Dieu et les filles. Quelques abus
d’alcool de temps à autre, mais avec prudence, il ne veut pas se farcir le
curriculum vitae encombrant du paternel ni posséder le regard vide de la maman. Au début, David est un chrétien
convaincu. Il se mettra à douter de plus en plus au fil des années. Sa famille,
propriétaire d’une exploitation forestière, a vu passer des générations
d’ouvriers qui tour à tour ont aidé à la déforestation, au saccage de la forêt
pour le profit (le mot « cupidité » revient souvent). David voulait
échapper à ce quotidien, avait récupéré un chalet, son espace de sécurité, mais
le père Burkett l’a vendu. Malaise dans la famille, le père honni, violeur
d’une petite fille dont David était jadis amoureux, la mère respectée mais
complètement à l’ouest, la frangine Cynthia lucide mais sombre et hostile, un
peu locomotive aussi. Quant à David, il reluque les nanas, il finit par se
demander si la pédophilie ou le mauvais comportement envers les femmes n’est
pas héréditaire. Son parcours est jalonné de pas mal d’aventures amoureuses
dont Laurie (qui mourra d’un cancer du sein). Dans tout ce défilé, une seule va
lui rester fidèle. Jusqu’à la mort. Elle s’appelle Carla. Mais c’est sa
chienne, en quelque sorte la femme de sa vie. « Debout sur ses pattes
arrières, Carla grattait le sac de couchage pour tenter de s’y glisser à côté
de Vernice. J’ai ressenti une jalousie enfantine, mais je l’ai aidée à s’y
nicher ».
Jim n’oublie pas de se révolter, jamais.
« J’avais déjà compris que la proportion de connards irrécupérables
était la même dans toutes les classes sociales ». Une phrase résume
assez bien ce roman en forme de road book décoiffant : « L’histoire
de ma propre famille n’était pas, elle aussi, sans ressembler à celle des
États-Unis. Nous faisions partie des premiers conquérants d’une région et, une
fois accomplie notre éradication massive des principales richesses de cette
région, nous avons ensuite métamorphosé cette destruction en mythe ».
David Burkett est un homme qui, plus il s’éloigne de son engouement pour la
chrétienté, plus il culpabilise pour les maux infligés à la nature.
Comme à son habitude, HARRISON, sur
certains passages, ne fait pas dans la demi-mesure, nous rendant témoins du
dépucelage de David, nous invitant au premier rang des beuveries salaces de
Fred, nous faisant sentir un vrai chapelet de culottes de jeunes femmes, pour
ne pas dire de jeunes filles. Suite à un accident, la cheville défectueuse de
David va revenir souvent sur la scène, le taraudant régulièrement. C’est le
côté agaçant d’HARRISON : des petits détails qui reviennent trop souvent
dans le déroulement du scénario, et surtout cet aspect très limite sur son positionnement
quant aux femmes, chaque fois que son personnage en rencontre une, il parle de
son corps (souvent imaginé nu) avant son cerveau, ça peut s’avérer très pénible
car, même si dans le cas du présent roman le jugement physique peut avoir sa
place (David a peur d’avoir hérité des obsessions et déviances de son père pour
les jeunes filles), HARRISON est en général adepte des jeunes femmes qui se
dévêtent devant des inconnus, et sont positionnées dans le texte comme des
femmes faciles. C’est précisément cet abord qui longtemps m’a fait buter sur
les romans d’HARRISON et, encore aujourd’hui, si j’aime rendre hommage à
l’homme et à son œuvre, je ne vois pas quel est son intérêt à répéter tout au
long de sa longue carrière des descriptions de corps de femmes désirées, vus
par des héros de romans prêts à besogner s’il le faut (insistances balourdes de
l’érection dans le présent ouvrage).
Le rythme du récit est assez
étonnant : commencé très lentement, de manière assez contemplative, il
prend sa vitesse de croisière dans la deuxième partie du livre à partir des
années 70, pour même se précipiter et jouer avec les ellipses pour les années
80, puisque chaque décennie comporte sa partie propre. Le tout, précipité,
finira dans un bain de sang.
La réflexion peut-être la plus
intéressante et la plus originale du récit est celle de la destruction de la
nature et plus particulièrement l’anéantissement des forêts mis en concordance
avec l’extinction des bisons aux États-Unis au XIXe siècle à cause de la folie
de l’homme blanc uniquement bon à amasser de l’argent sans réfléchir. C’est un
livre écologiste et lucide, ainsi qu’un très bon millésime d’un auteur superbe
bien que relativement irrégulier, avec ses grandes qualités et ses défauts.
(Warren
Bismuth)
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