Comme son titre
l’indique. Trois pièces de théâtre dans un recueil sorti cette année dans la
collection Blanche de Gallimard. Trois pièces au ton moderne, au format
d’écriture très ambigu entre théâtre et micro-roman, trois pièces traitant de
la soumission, de tensions familiales, du racisme, de mensonges, y compris à
soi-même, peut-être surtout à soi-même. L’univers de Marie NDIAYE très reconnaissable
dans ce recueil. L’auteure est une habituée de l’écriture de pièces, elle y
semble par ailleurs très à l’aise. Voici le menu du jour.
« Délivrance » :
un titre qui résonne magnifiquement pour notre blog et vous savez pourquoi. Le
fond : monologue épistolaire douloureux d’un homme ayant déménagé seul
dans un autre pays. Il va écrire neuf lettres à sa femme infirmière restée sur
leurs terres. Tout d’abord aimant, il va commencer à se poser des tas de
questions sur l’amour, la fidélité de sa femme, la santé de ses parents, la
jalousie. Pourquoi sa femme semble-t-elle donner plus d’importance, plus
d’amour aux petits vieux qu’elle torche plutôt qu’à son propre mari ? Ce
dernier s’excite tout seul au fil des lettres, devient plus agressif, plus
humiliant, mais aussi plus paranoïaque, montrant une certaine détresse. Puis il
se rabaisse avant de rabaisser à nouveau sa femme. « Qui vaut mieux que qui, et d’après quels critères en juger ? Celui
de l’innocence ? Mais les humains ont-ils à se sentir responsables de
n’avoir pas l’innocence des bêtes ? ». À noter que cette femme,
dont nous ne saurons presque rien, ne répondra jamais.
« Berlin
mon garçon » est la plus complexe. Deux lieux d’action : Chinon, où
vit Marina et sa famille, et Berlin, où le fils de Marina s’est enfui, du moins
nous le croyons. Marina en recherche d’informations se rend à Berlin, hébergé
par le mystérieux Rüdiger. Elle s’entretient avec des personnes, allemandes,
qui ont vu son fils, elle se fait traduire les réponses par Rüdiger… qui les
tronque et retranscrit tout de travers, comme lui l’entend. Le fils disparu
serait devenu un meurtrier, peut-être traqué en fuite à Münich, débauché. Les
protagonistes n’écoutent pas leurs interlocuteurs, chacun semble monologuer,
coupant la parole, chacun dans sa bulle, son mensonge, la ponctuation y est
presque inexistante. Cette pièce suffocante sera mise en scène à l’automne
prochain.
« Honneur
à Notre Élue » : c’est pour cette pièce que j’ai lu le recueil, j’en
avais entendu parler en 2017 lorsqu’elle fut présentée sur les planches, elle
s’annonçait assez bath. Je n’ai pas été déçu. Pièce politique où une femme, que
l’on ne connaîtra que sous le nom de Notre Élue est donc élue, aisément
d’ailleurs, à l’issue d’un vote. Tout de suite, le perdant, appelé l’Opposant,
s’agite et met en place une campagne machiavélique : parachuter un couple
de vieillards chez Notre Élue pour que le couple fasse croire qu’ils sont les
parents abandonnés de l’élue, cette étrangère :
« - Elle, elle qui n’est même pas
d’ici !
- Je vous interdis d’évoquer ça. C’est un
argument dont je n’userai jamais. Chacun le connaît, du reste, et personne ne
s’en soucie.
- Tu es ébloui et tu deviens faible. C’est
parce qu’ils devinent cette lâcheté qu’ils ne votent pas pour toi. Elle te
captive à ton tour, elle qui n’est même pas d’ici »
Les coups bas
vont pleuvoir comme à Gravelotte, tout est bon pour préparer la prochaine élection,
détruire psychologiquement et médiatiquement l’adversaire, surtout que celle en
question est plutôt altruiste et oublieuse de sa carrière et du pouvoir.
Trois pièces
d’assez haut niveau, d’une vraie grâce de style, menées avec brio par une
NDIAYE qui, je le répète, est très à l’aise dans cet exercice, montrant une
grande subtilité, une puissance évocatrice certaine. J’en connais parmi vous
qui se méfient du théâtre, voire changent de trottoir à sa simple énonciation.
C’est peut-être parce que vous n’en avez jamais lu signé par Marie NDIAYE, ça
fait quand même une sacrée différence, vous verrez.
(Warren Bismuth)
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