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samedi 1 juin 2019

Shaun LEVIN « Le garçon en polaroïds »


Singulier tout petit bouquin à lire entre deux grignotages pour détendre l’atmosphère. Pas plus de 70 pages petit format, dont seize photographies couleur et pleine page, toutes commentées, des photos vintage comme l’on peut s’en douter par avance avec ce terme désuet de « polaroïd » dans le titre. Chaque photo représente l’auteur jeune voire très jeune à une période de sa vie. C’est par des photos d’apparence banales qu’il va se dévoiler, par ces extraits pris sur le vif, ces instantanés synonymes de postérité.

Une photo, un commentaire. Que voit-on sur la photo ? Quelles étaient les pensées de l’auteur au moment même où elle a été prise. Chaque photographie est en couleurs passées, avec ce grain qui fleure bon les 70’s, photos un brin pisseuses, du travail d’amateur : pas cadrées, ne recherchant pas l’art ni la performance, juste l’instant présent. Mais dans ces photos, LEVIN y voit autre chose, le sexe notamment. LEVIN a très vite compris qu’il était homosexuel. Il a vibré pour bien des hommes : des adultes lorsqu’il était encore enfant. Oui, le père c’est certes autre chose, ce n’est pas le même respect. Et puis le judaïsme. LEVIN est juif. Il a d’ailleurs vécu une partie de son adolescence en Israël (il est né en Afrique du sud), certains des clichés choisis en ces pages sont tirés de cette période.

Dans ce court récit de vie, nous allons, par le biais d’un appareil photo, croiser un enfant, toujours le même, jusqu’à son adolescence. Pour l’aspect écriture, on va surtout croiser des bites : dures, turgescentes, gonflées de désir, on flirte avec le « carré blanc » des années 70 qui aurait peut-être eu sa place, non sur les photos, mais au bas des textes. On caresse, on bande, on suce, on gicle. Accessoirement on aime. L’auteur s’appelle lui-même le Garçon, il aimerait pourtant se voir en Fille. Il voit ses seins grossir, il éveille ses souvenirs érotiques en observant ses photos de famille : « La dernière fois qu’ils se rencontreront, l’homme se mettra devant le Garçon sur ses deux genoux et lui demandera de le pénétrer. Il exhibera son trou du cul lisse et brun d’homme plus mûr avant d’enfourcher le sexe du Garçon pour se faire du bien, du bien et encore du bien ».

Retour vers des éléments révolus, dans une décennie elle-même révolue et assez marquée par la liberté sexuelle. Le Garçon tentera de suivre la vague majoritaire, sortira avec des filles, mais il se réveillera bien vite : il est homosexuel. Point. Une plongée un peu voyeuriste dans un album de famille où le Garçon s’épanche, fait parler les photographies, fait partager ses désirs d’alors. On peut s’y sentir dérangés par notre rôle de voyeur passif sur certaines pensées, même si le temps des vierges effarouchées est bien loin, mais l’exercice est original et plutôt intéressant à suivre : comment disséquer une photo et faire en sorte qu’après une explication de texte elle devienne comme rincée, essorée, expurgée de tous ses secrets, même ceux auxquels on n’aurait pas pensé, et finisse par représenter tout autre chose. Paru en 2017 aux excellentes éditions Signes et balises, ce petit bouquin nous rappelle à toutes fins utiles qu’une photo se démembre, pouvant faire apparaître après plusieurs visionnages une couche inexplorée, un secret, une confession.


(Warren Bismuth)

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