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mercredi 9 octobre 2019

Antoine WAUTERS « Pense aux pierres sous tes pas »


« Pense aux pierres sous tes pas». Cette phrase revient à de nombreuses reprises tout au long de ce roman d’Antoine WAUTERS, et c’est aussi le titre de son ouvrage, sorte de formule contraphobique que se répète la narratrice, en boucle.

La narratrice principale, c’est Léonora, parfois son frère vient prendre la parole, c’est Marcio. Léonora et Marcio ont une particularité : ils sont jumeaux. Et il existe entre eux une complicité que l’on ne peut nier, un amour brûlant même, qu’ils concrétiseront dans un hangar, loin du regard de leurs parents.

Voici un petit couple qui grandit au sein d’une famille à la fois classique et étrange : on comprend rapidement que les deux parents sont tour à tour violents et démissionnaires, plus concernés par le paiement des taxes et par leur propre amour que par l’intérêt de leurs enfants. Enfants qui grandissent avec le poids des stéréotypes : Léonora s’occupe de la maison avec sa mère, Marcio va aux champs avec son père.

Le décor qui sert de cadre à ces vies, c’est la ferme. Une ferme que l’on devine pas très riche, dans une contrée plutôt pauvre, le tout enclavé dans un pays qui se divise entre un nord et un sud, le nord étant la contrée favorisée (je vous laisse deviner pour le sud). Ce pays est imaginaire, tout comme l’époque que l’on peine à caractériser, tout ce que l’on sait c’est que l’auteur ne fait pas état de technologies particulières. Même les prénoms, les noms de villes, de fleuves sont étranges. Zbabou le meilleur ami, Zio, l’oncle bienveillant, Mama Luna la shaman, Madde, la mère de substitution. Les dirigeants successifs du pays ont des noms à connotation slave, ou russe, se ressemblent tous, un peu comme leur politique d’ailleurs, qui ne donne jamais à celles et ceux qui en ont besoin.

Mams et Paps (surnoms des parents) vont finir par se rendre compte que Marcio se grime en fille pour prendre la place de sa sœur dans la maison, que Léo se déguise en garçon pour aller aux champs. Ils prennent une décision lourde de conséquence : séparer les jumeaux, surtout qu’ils les prennent aussi en flagrant délit de rapprochement charnel. C’est Léonora que l’on reverra, chez Zio, le frère de Paps, qui habite très loin (à 140 km apprendrons-nous par la suite). Et Marcio, on l’attache, pour qu’il ne s’enfuie pas à la suite de sa sœur bien-aimée.

Ce roman est violent, il joue avec des codes qui peuvent déranger, à des niveaux différents. La notion de genre est abordée : la libération pour Marcio, ce sera de porter du rouge à lèvre et d’avoir les oreilles percées par des boucles chatoyantes. La parentalité est passée au peigne fin : des individus, essorés par le système, qui aiment leurs enfants mais n’arrivent pas à s’en occuper tant les préoccupations matérielles du quotidien les enferment dans l’angoisse. Des parents qui n’arrivent pas à faire entrer leurs enfants dans leur vie de couple trop fusionnelle et qui n’investissent finalement pas du tout leur parentalité. Pourtant à de nombreuses reprises dans le récit, cela filtre : ils leur portent un amour inconditionnel mais ô combien maladroit. La politique : on se croirait dans un roman de KAFKA ou alors tout simplement, cela pourrait aussi nous rappeler le monde dans lequel nous vivons ; on donne aux riches pour qu’ils deviennent toujours plus riches et les pauvres attendront. De toute façon on saura manier les armes les plus répressives possibles pour que les révolutions crèvent avant même d’avoir vu le jour. Un monde imaginaire, une contrée imaginaire, des individu-es triviaux, tout est fait, grâce aux choix de l’auteur, pour que cela résonne en nous.

Car la vraie violence de ce roman est l’écho qu’il suscite au plus profond de nos cœurs et de nos esprits.

Deuxième ouvrage que je lis d’Antoine WAUTERS, ce ne sera pas le dernier tant son écriture résonne en moi. Vous trouverez cette pépite chez VERDIER, et c’est sorti en 2018.


(Emilia Sancti)

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