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mardi 22 octobre 2019

Bernard FAUREN « Sur les traces de Kali »


« Sur les traces de Kali » est un court roman de 154 pages qui ne se laisse pas facilement saisir. L’auteur, Bernard FAUREN, nous transporte tour à tour dans un univers où il est difficile pour le lecteur de différencier rêve et réalité.

Tout le récit s’articule entre fantasme, onirisme et psychanalyse. Les premières pages du roman s’ouvrent sur Denis, le psychanalyste de Yohan, anti-héros à la recherche de sa fameuse Kali. Kali c’est une femme mystérieuse, et c’est aussi une déesse de l’hindouisme chargée de la préservation, de la transformation et de la destruction. Elle est en lien étroit avec le temps qui détruit toute chose. Il est évident que la Kali de Yohan entretient des liens clairs avec la divinité que nous venons de décrire.

Rien n’est jamais sûr dans les pages que nous lisons : Yohan raconte sa première rencontre avec Kali, dans une maison, lors d’une visite. Quelques pages plus loin nous apprendrons que ce récit était faux, qu’il relatait uniquement le fantasme de Yohan sur cette première fois qui, selon lui, aurait dû se dérouler ainsi, à ce moment-là.

L’action se divise en plusieurs temps distincts : Denis, son rapport à Yohan et sa vie personnelle ; Yohan, ses récits sur Kali, issus de ses souvenirs et un voyage, que l’on peine à dater. Tout est onirique : le lecteur est dans la quasi-impossibilité de démêler l’écheveau narratif. L’auteur fait bien de nommer les différents (courts) chapitres « fragments », il s’agit en effet de bribes, presque jetées çà et là, au bon gré du lecteur qui s’efforce de reconstituer un puzzle. Les seules certitudes concernent nos deux individus.

Kali se cristallise dans toutes les femmes que rencontre Yohan dans son cheminement : tout à la fois belle et mystérieuse, elle sera cette inconnue sur le bateau qui se dirige vers l’Inde ou encore la petite vendeuse de bidî (cigarette roulée vendue dans la rue). Ces rencontres sont souvent irréelles, tout comme sa relation avec Kali, bien que cette dernière s’accroche à un versant de la réalité non négociable, tels que les lieux qui ont été visités ensemble.

Les personnages ne sont pas causants, ce qui est paradoxal quand on sait le travail psychanalytique mené par Yohan. Il pense plus qu’il ne se livre à Denis et ce dernier va lui-même cheminer dans sa propre vie, inspiré par ce qu’il reçoit. L’ensemble de l’ouvrage s’envisage non seulement sous son aspect irréel, comme onirique mais aussi sous l’aspect sensoriel : le récit est très empreint de la philosophie hindouiste, on trouve de nombreuses références au tantrisme notamment, ce qui renforce indubitablement l’aspect évanescent de l’action.

Le cheminement « physique » de Yohan préfigure son cheminement intellectuel, sa quête spirituelle, tout autant qu’un retour aux sources, un retour sur un amour qu’il sait définitivement perdu mais qu’il ne peut arriver à oublier. Roman à la fois sensuel et déroutant, les images qu’il nous inspire sont vives et tranchées, à l’image du caractère de Kali, dont la féminité est transcendée. Cheminement acté, si je puis dire, dans le roman, car certains fragments se terminent et sont repris dans le fragment suivant, conférant un rythme soutenu au récit, et une grande clarté. Cela dissout aussi les individualités : Denis et Yohan se rejoignent car leurs récits se complètent l’un l’autre. L’Inde, elle aussi, viendra cristalliser leurs similitudes alors qu’au départ, tout les sépare, ou presque.

Chaque début de fragment est écrit dans un ton de gris qui permet de chapeauter la suite du récit : reprise de ce qui a été dit la page d’avant, introduction discrète, monologue intérieur, toutes les hypothèses sont permises.

Un roman aux finitions soignées dont le récit énigmatique ne se donne pas facilement, format poche, qui se laisse lire d’une traite. Aux éditions Brandon, 2018.


(Emilia Sancti)

1 commentaire:

  1. Effectivement la reprise des phrases similaires est la marque de fabrique du style de Bernard Fauren.

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