« Ce
n’est pas un journal mais le monologue d’un tocsin de nuit sur l’eau pâle où
s’abîme la carlingue d’une vie banale ».
Ce veilleur-là est fait de deux recueils
de textes : « Le veilleur de brumes » (écrit entre octobre 1991
et janvier 1993) et « Carnets de brume » (écrit entre avril 1988 et
novembre 1989). De nombreux petits récits qui forment une trame.
Prenons « Le veilleur de
brumes », ce type solitaire, loin du monde, enfin non pas totalement,
Puisqu’en Bretagne. Il va se pendre, on le sait dès la première phrase. Et dès
le premier texte il se masturbe sur un épouvantail. L’un de ses autres passe-temps
est de fabriquer des cercueils miniatures, 60 en tout, chacun à la mémoire d’un
auteur, d’un poète, écrivain sous-estimé ou oublié. Dans ces textes d’une
grande densité, le sexe, oui mais pas toujours joli, et les écrivains, toujours
au pinacle. L’écriture est très exigeante, poétique, olfactive et visuelle. La
Bretagne, son décor, ses autochtones, les tronches de biais, bouffées par le
jaja, le tabac. Le crachin, la brume, les bateaux qui s’en vont, certains ne
revenant jamais. Mais les trépassés réapparaissent, s’invitant à table, comme
si le cimetière ou la mer se dépeuplaient soudainement de leurs locataires, ces
suicidés, ces cirrhosés, ces usés de la vie. Et le cunnilingus qui a le goût
d’une mer à marée haute. Passe-moi le sel !
Dans « Carnets de brume » JOSSE
quitte le veilleur pour s’intéresser aux autres, les voisins, les proches, les
bretons du cru, des tas de petites histoires se succédant et se complétant, du
cul encore. Les doses de suicides, d’accidentés de la vie, des habitants un peu
simplets, certaines un peu nymphos. « Puis
la gueule fissurée de l’adulte entamé au milieu de ses présents de délire.
Celui-ci fait le gland dans ses fantasmes. Le lyrisme moelleux reste sa seule
thérapie. On le juge sensuel, dérisoire, voyeur. Ordinaire jusqu’à la toile
râpée de ses fringues. ‘Cet homme n’aura pas touché le corps d’une femme depuis
des lustres !’. On s’esclaffe, on s’offusque, on montre sa braguette avec
un zeste de dégoût dans le rictus ».
Oui, des personnages ordinaires et
dérisoires, qui portent un poids trop lourd pour eux, désenchantés par un
parcours tortueux. Les phrases, précises, minutieuses jusqu’au moindre
détail : « Les dimanches
d’automne, il promène un épagneul de bar dans les venelles désertes. Le vent se
repose sur le menton des pierres. Ou sur le bras tordu d’un vieux chêne. Des
outils rouillés gisent, recouverts d’herbes jaunes, devant la maison du pendu
de l’hiver dernier. Inutile d’insister… Les vitres sales ne laissent rien
filtrer. Et le langage des poutres est inaudible pour qui n’a pas rendez-vous
immédiat avec la poussière ».
Les textes se tendent la main, profitent
bien les uns des autres, de petites histoires en formant une plus grande.
Petites touches par saccades mais follement complémentaires. On peut y voir une
suite intime de poèmes en prose, mais aussi un petit roman, celui des
invisibles, des humbles. C’est sorti en 1995 chez Le Castor Astral et la
Rivière Échappée. Je ne pense pas que ce soit encore disponible, mais si vous
le voyez passer, ruez-vous dessus comme des assoiffés, d’autant que ce trésor
renferme en son centre de nombreuses photos qui viennent témoigner des dires,
la Bretagne profonde, les poètes disparus. Notons pour finir que « Carnets
de brume » est originellement sorti dans la revue Travers en juin 1992.
(Warren
Bismuth)
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