Si vous suivez assidûment ce blog, le
titre de cette pièce de théâtre ne doit pas vous être inconnu. En effet, elle
ouvrait la gigantesque anthologie des écritures théâtrales contemporaines
d’Ukraine « De Tchernobyl à la Crimée », ouvrage collectif majeur
sorti l’an dernier aux mêmes éditions L’Espace d’un instant et déjà chroniqué
ici :
Cette pièce ukrainienne de 2013 – traduite
en 2016 par Iula NOSAR et Aleksi NORTYL - traite de l’après Tchernobyl (qu’il
faudrait d’ailleurs mieux écrire Tchornobyl comme il est judicieusement rappelé
dans ces pages). Une famille restée dans la zone interdite après la catastrophe
nucléaire. La grand-mère, Baba Prissia, un tantinet misanthrope du haut de ses
86 ans, sa fille Slava, 59 ans et le fils de Slava, Vovtchyk, 28 ans, un peu
idiot. Baba Prissia n’a jamais quitté la zone, Slava et Vovtchyk sont revenus y
vivre après un passage par la Crimée. Dans cette zone, le principe de
précaution alimentaire fait foi. Mais Baba Prissia s’en moque, au contraire de
sa descendance. Le père de Vovtchyk a disparu. Nous apprendrons plus tard qu’il
est devenu esclave.
Plus d’électricité dans la bicoque
familiale, les câbles électriques ayant été dérobés. Les autorités ont demandé
à plusieurs reprises à la famille de quitter les lieux, jugés trop dangereux,
mais où aller ? D’autant que Slava a déjà essayé, en vain.
Des flashbacks : d’abord en 1986 au
lendemain de l’accident, puis en 1993, où nous rencontrons enfin le mari de
Slava, pestiféré et alcoolique. Nouveau retour dans le temps, en 1996 cette
fois-ci.
Dans ce texte particulièrement rythmé, il
est question des croyances et superstitions ukrainiennes, mais aussi de faits
bien plus terre à terre, avec historiquement l’évocation par exemple de
l’Holodomor, cette famine de 1932-1933 en Ukraine, orchestrée par STALINE. Le
poste radio tient compagnie, on écoute les informations grâce à des piles. La
transplantation d’organes vient d’être légalisée en Russie. Qu’en sera-t-il
pour les ukrainiens, irradiés jusqu’à la moelle ? Baba Prissia est
formelle : « Je n’ai jamais aimé
les Soviets, moi, mais avec eux au moins les choses étaient claires. Alors que
maintenant, on n’y comprend plus rien ! ». Sinistre nostalgie, ce
« c’était mieux avant ». Oui mais avant quoi ? Avant
Tchernobyl ? Avant l’effondrement de l’U.R.S.S. ? Du temps de
STALINE ?
Désormais les ukrainiens vivent comme des
parias dans toute la Russie, donc Baba Prissia ne partira pas, elle en est
convaincue. Quant à Salva, elle désirerait fuir, mais pour aller où ? Et
que faire de cet imbécile de Vovtchyk qui souhaiterait « niquer » ?
C’est Baba Prissia qui parle :
« Le monde entier se presse vers on
ne sait où, et il est toujours en retard parce que le temps est tout droit.
Nous, on n’a nulle part où se presser, on a un temps rond : tout vient à
son heure, son jour, sa saison. Nous vivons au début et à la fin des
temps… ». Comme si la fatalité était déjà annoncée, un drame va se
produire, il est la personnification de la destinée de l’Ukraine, région ayant
tellement souffert au cours des siècles, un peuple persécuté puis victime directe
de la plus grande catastrophe nucléaire de toute l’humanité, un peuple à genoux
mais qui résiste.
Cette pièce ancrée dans la réalité sait
toutefois se faire onirique, dépasser le palpable, le ressentiment. Sans rêves
pas de but. Celui des ukrainiens semble bien brumeux. « Au début et à la
fin des temps » est de ces pièces qui émeuvent tout en surfant sur
l’Histoire politique et sociale. Elle est d’une grande qualité, et je ne saurai
que trop vous la recommander. Les éditions L’Espace d’un instant sont
décidément une pièce maîtresse pour nous faire découvrir un autre théâtre.
https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation
(Warren
Bismuth)
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